Si on nous avait dit que nous allions attendre 20 ans, si on nous avait dit
que les présumés génocidaires rwandais vivraient en paix en France pendant tant
d’années, si on nous l’avait dit, en 1994, nous ne l’aurions pas cru. Bien sûr,
après Noroît, après Amaryllis, après Turquoise, nous
n’étions pas très optimistes. Mais on se disait tout de même, que dans la patrie-des-droits-de-l’homme,
dans la France de Montesquieu, la France de Badinter, offrir l’impunité à des
personnes accusés de génocide, ce n’était pas possible. Et bien, si. Ces
présumés génocidaires se sont installés tranquillement en France. Agathe Kanziga-Habyarimana, accusée de génocide, y a été accueillie le
9 avril 1994 avec un chèque de 200 000 Fr (31 000 Euros) du ministère de la
coopération française. Arrivé à Paris en sortant d’une prison du Kosovo, Callixte Mbarushimana a obtenu en temps record un statut de réfugié, juste avant de se
lancer dans la direction du mouvement terroriste FDLR. Eugène Rwamucyo, considéré
comme un des leaders du génocide à Butare et Sosthène Munyemana surnommé
« le boucher de Tumba » exercent comme médecins en province.
Wenceslas Munyeshyaka exfiltré de Goma par l’Église de France est devenu
aumônier de jeunes scouts français...etc.
La Belgique, la Suisse, les Pays-Bas, le Canada, la Norvège, la Suède, l'Allemagne et la
Finlande, ont jugé des Rwandais accusés de génocide. Mais pendant 20 ans, la
France est restée sourde aux cris des victimes rwandaises réfugiées en France, des
militants des droits de l’homme, des chercheurs spécialistes de l’histoire du
Rwanda, des journalistes dont certains ont été témoin du génocide. Les Français
ne sont pas tous des adeptes de Pierre Péan, le
fraîchement médaillé de la légion d’honneur qui s’autoproclame révisionniste du
génocide des Tutsi [1], comme avant lui Robert Faurisson concernant le génocide des Juifs.
Et puis, petit à petit, on y est arrivé.
Le capitaine Simbikangwa se retrouve aujourd’hui devant la Cour d’assise de Paris.
Certes, c'est un peu par hasard, car sans son trafic de faux papiers, il
coulerait encore des jours heureux sous le soleil de Mayotte, tout comme des
dizaines de Rwandais recherchés par Interpol et qui vivent en toute
impunité en France. On espère que suivront prochainement les procès de Octavien
Ngenzi, Tito Barahira qui sont en détention, et de Wenceslas Munyeshyaka et
Laurent Bucyibaruta (tous deux inculpés par le TPIR). Mais ne serait-ce pas plus
raisonnable de juger des Rwandais accusés d’avoir commis un génocide contre les
Tutsis rwandais au Rwanda, plutôt que de les juger devant des étrangers, dans
des langues étrangères dans lesquelles il est souvent difficile ou sinon
impossible d’exprimer les nuances des témoignages ?
Après les Canadiens et les Norvégiens, les Néerlandais, toujours
pragmatiques, ont compris que leur rôle n’est pas de juger des Rwandais pour
génocide. Reconnaissant les
efforts énormes du Rwanda pour répondre aux exigences internationales - dont
l’abolition de la peine de mort en 2006 - ils ont soutenu son système judiciaire et ont signé un accord d’extradition avec le Rwanda. Pendant qu’en France l’avocat général de la Cour de Cassation vient de déclarer qu’aucune extradition vers le Rwanda n’est possible, car la loi
rwandaise sur le génocide (1996) est postérieure à 1994. Oubliant qu’en 1975 le
Rwanda a ratifié la convention sur le génocide de 1948, oubliant que le crime
de génocide est un crime reconnu en droit international coutumier et que son
interdiction est considérée comme une norme de jus cogens[2], oubliant enfin que le TPIR a jugé une soixantaine de Rwandais sur la base d’un
statut pourtant créé après le génocide des Tutsi !
La justice doit être rendue au nom du peuple, devant le peuple. Et le
peuple qui a besoin de ces procès, c'est le peuple rwandais, les victimes du
génocide en premier lieu, mais également les plus jeunes, qui sont l’avenir du
Rwanda.
Enfants rwandais lors de la cérémonie d’ouverture de Kwibuka20 à Huye, Rwanda
(Source Kwibuka20)
A
lire :
Alain Frilet et Sylvie Coma, Paris, terre d’asile de luxe pour dignitaires hutus, Libération, 18 mai 1994.
Alain Frilet, Kigali, l’enfer de la Sainte Famille, Libération, 17 juin 1994.
Alain Frilet, Un prêtre rwandais accusé de complicité dans le génocide, Libération, 20 juin 1995
Africa Rights, Le boucher de Tumba, mars 1996.
Alain Frilet, Un prêtre rwandais accusé de complicité dans le génocide, Libération, 20 juin 1995
Africa Rights, Le boucher de Tumba, mars 1996.
Minna Kimpimäki, Genocide in Rwanda - Is It Really Finland's Concern? International Criminal Law Review,
Volume 11, Issue 1, pages 155-176, 2011.
Maria Malagardis, Sur la piste des tueurs rwandais,
Flammarion, 2012.
Maria Malagardis, Quinze jours dans la vie de madame, Revue XXI, Printemps 2010.
Génocide rwandais, des tueurs sont-ils parmi nous ? Elle, 26 novembre 2012.
Maria Malagardis, Quinze jours dans la vie de madame, Revue XXI, Printemps 2010.
Génocide rwandais, des tueurs sont-ils parmi nous ? Elle, 26 novembre 2012.
Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier, En finir avec la palinodie judiciaire, Libération, 6 avril 2009.
Voir mon dossier sur l’affaire Wenceslas Munyeshyaka, sur le site Scribd.
A voir :
AFP, Rwanda les rescapés de Kesho se souviennent de Simbikangwa, 31 janvier 2014.
CPCR, le procès de Pascal Simbikangwa (par Alain Gauthier)
A voir :
AFP, Rwanda les rescapés de Kesho se souviennent de Simbikangwa, 31 janvier 2014.
CPCR, le procès de Pascal Simbikangwa (par Alain Gauthier)
Sur le blog Kagatama :
Du rififi à l’enterrement de Jean-Bosco Barayagwiza, 26 mai 2010.
Heureux comme Callixte Mbarushimana en France, 29 janvier 2010.
La France a-t-elle enfin entendu nos cris ? 25 novembre 2009.
Génocide à Kigali : l’ex-préfet de la capitale condamné, 22 aout 2009.
Rwanda : la France va-t-elle oser juger Rose Kabuye ? 10 novembre
2008.
Rwanda : le tortionnaire a été arrêté, 3 novembre 2008.
Au Rwanda, le Tutsi est menteur et la femme Tutsi est une espionne,explique Pierre Péan, 19 septembre 2008.
[1] « Je suis révisionniste car quand l'histoire
est truquée, il faut la réviser », Pierre Péan, L'Express, 1 décembre
2005.
[2] Le jus cogens se définit comme
l'ensemble des « normes impératives du droit international général »
au sens de l'article 53 de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit
des traités. Il accrédite l’existence d'un « ordre public
international » qui procèderait d’une « communauté
internationale » au plein sens du terme.