30/07/2008

Rwanda : Bourreaux et victimes, une réconciliation impossible

Mai 2004, Kigali, Parlement du Rwanda, première présentation de la «politique de la réconciliation et de l’unité nationale du Rwanda» à des représentants de toutes les couches de la population rwandaise et également à des membres de la diaspora rwandaise. Un homme se présente, il raconte le calvaire qu’il a vécu pendant le génocide des Tutsi en 1994. Il a perdu toute sa famille. Il trébuche sur les mots disant ils nous ont pourchassé, ils nous ont battu, ils nous ont fait subir toutes les atrocités, ils nous ont jeté dans la fosse…puis hésitant, le regard dans le vide il rajoute : quand ils ont fini de nous tuer…* La salle s’esclaffe. Un autre homme assez fringuant aux lunettes fumées déclare qu’il est l’assassin de la famille du premier. Il se présente comme le soutien du rescapé, il affirme que désormais ils vivent paisiblement ensemble. Le rescapé regarde la salle d’un air absent. L’assassin quant à lui est serein. Je vais aux toilettes, et je vomis.

Après le génocide des Tutsi, à la grande joie de la fameuse « communauté internationale », le Rwanda a instauré une politique de réconciliation et d’unité nationale, il a créé une National Unity and Reconciliation Commission . A partir de 2003, le pays vide ses prisons et remet en liberté toute personne accusée de génocide qui a avoué son crime et a demandé pardon (à qui ? Le plus souvent à Dieu, au gouvernement rwandais et parfois aux victimes) Des tueurs de bébés se retrouvent donc sur les collines parfois tout près des parents de leurs victimes. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un pays a demandé à des survivants d’un génocide de tendre la main à l’assassin de son enfant, de son mari, de son frère, de toute sa famille et de vivre près de lui en bonne intelligence.

Et les journalistes étrangers rapportent avec bonheur cette première mondiale, les chrétiens exultent, ils s’empressent de donner des conseils au gouvernement, aux victimes, oubliant au passage les prêtres et pasteurs qui ont participé au génocide des Tutsi, oubliant que c’est l’église catholique rwandaise qui a mis au pouvoir un parti politique ethniste : le MDR-Parmehutu du président Grégoire Kayibanda.

Ma grand-tante, de 73 ans, qui vit seule à la campagne juste à côté de la tombe de son mari, de ses fils, de ses filles, et de ses petits-enfants, m’a confié qu’elle souffre quotidiennement de mal au ventre terrible. Je lui ai demandé la raison de ces maux. Elle m’a répondu qu’elle ne peut plus supporter de croiser les assassins de sa famille qui vivent heureux, entourés des leurs. Elle m’a dit en pleurant que c’est trop injuste.

Une victime ne peut pas se réconcilier avec le bourreau de sa famille. C’est tout simplement inhumain. Alors réconciliation nationale entre qui et qui ? Les Hutu et les Tutsi ?

Dois-je me réconcilier avec Martine qui a sauvé mes filles adoptives ? Dois-je me réconcilier avec le gardien de mon voisin qui, ne me connaissant même pas, a contribué à mon sauvetage durant le génocide ? Dois je me réconcilier avec les frères Gisimba qui ont protégé et sauvé des centaines de Tutsi dans leur orphelinat ? Dois-je me réconcilier avec le bourgmestre de Giti qui a tout fait pour éviter le pire dans sa commune ? Ces gens sont des héros. Des imfura** du Rwanda. Je ne leur dois que le respect.

Demander que les Tutsi se réconcilient avec les Hutu c’est oublier que tous les Hutu ne sont pas des assassins. Je n’ai pas à me réconcilier avec les Hutu qui n’ont pas tué ou qui ont sauvé des vies.

J’estime également que cette politique va à l’encontre de l’excellente première initiative du gouvernement rwandais après le génocide : l’abolition de la carte d’identité ethnique, qui était une aberration historique. Comme l’ont prouvé Jean-Pierre Chrétien (Le défi de l’ethnisme) ou dernièrement Jean-Paul Kimonyo (Rwanda : un génocide populaire) il n’existerait pas d’ethnies Hutu, Tutsi ou Twa, telles qu’elles sont comprises aujourd’hui (comme des races distinctes (!)), sans la politique coloniale belge des années 1930. Il est toujours bon de rappeler que la grande majorité des Rwandais doivent leur ethnie à la santé bonne ou mauvaise des vaches de leurs aïeux durant les différentes pestes bovines de 1891, 1920 et 1933.

* baratwirukankanye, baradukubita, badukorera amarorerwa yose ashoboka batujugunya mu cyobo…noneho arajijinganya, areba mu kirere, agira ati : bamaze kutwica…

** des braves

Voir le reportage : Rwanda "Les collines parlent"


Un commentaire du reportage Rwanda, les collines parlent : La logique des bourreaux