25/11/2009

La France a-t-elle enfin entendu nos cris ?

(Photo : J.F. Dupaquier, source Rue89)

Roza, iyi nyandiko ndayigutuye

Rose Rwanga, ce billet t’est dédié.

Cela fait 15 ans que nous, les rescapés du génocide des Tutsi, informons les autorités judiciaires françaises de la présence en France de Rwandais suspectés de génocide. Pendant 15 ans, le ministère de la justice du pays-des-droits-de-l’homme est resté sourd à nos appels. Suite à cette inertie, il n’y a jamais eu autant de Rwandais accusés de génocide vivant en France. Au moment où la France n’hésite pas à renvoyer des Afghans dans leur pays en guerre, l’impunité incroyable dont ces Rwandais bénéficient étonne, et provoque un appel d’air pour leurs camarades dans le monde entier. Alors forcément, avec l’avènement d’internet dans tous les foyers, les citoyens français finissent par réaliser qu’ils croisent au travail des individus rwandais recherchés par Interpol.

Une infirmière de Maubeuge s’est aperçue que son médecin du travail, Eugène Rwamucyo, était recherché pour génocide par Interpol, avec le soutien de son syndicat, elle s'est confiée à la journaliste, Catherine Simon du Monde. La machine médiatique s’est emballée dans un week-end et la France s’est réveillée le lundi avec l’angoisse de voir des Rwandais recherchés par Interpol partout ! Ceux-ci sont très à l’aise et très bien introduits dans le microcosme français. Arrivé de Côte d’Ivoire, Eugène Rwamucyo, vivait chez son épouse à Anderlues, en Belgique, mais travaillait en France où le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur de Sarkozy, Claude Guéan, lui avait gentiment obtenu un titre de travail. Cette affaire très embarrassante de protection au plus haut niveau de l’État français, a finalement abouti à l’annonce par la ministre de la Justice, de la création d’un pôle judiciaire « génocide et crime contre l’humanité ». Espérons que ce projet ne restera pas à l’état d’annonce. Cela fait 15 ans que le problème existe et que les victimes du génocide des Tutsi, les ONG, les associations de droit de l’homme, réclament la création de ce pôle.

Sur le site d’Interpol, on trouve la liste complète des Rwandais recherchés pour génocide par le Rwanda, 11 vivent en France. Le C.P.C.R (Collectif des Parties Civiles du Rwanda) a déposé plainte contre ces onze rwandais, mais aussi contre quatre autres, dont Agathe Kanziga, veuve Habyarimana. A ce jour, le Rwanda n’a curieusement ni publié un acte d’accusation, ni lancé un mandat d’arrêt contre elle.15 Rwandais vivant en France sont donc visés au total. Par manque de volonté politique, aucune enquête sérieuse n’a encore débuté en France dans la majorité de ces affaires. Pourtant un espoir vient de voir le jour puisque les juges Pous et Ganascia se sont rendues au Rwanda le 21 novembre dernier pour enquêter sur quatre affaires. En octobre elles avaient rencontré le Procureur du TPIR à Arusha pour qu'il lui communique des éléments de preuve contre certains Rwandais vivant en France. Il est vraisemblable que cette enquête concerne entre autres Wenceslas Munyeshyaka et Laurent Bucyibaruta. Ces deux affaires sont à part puisque ces deux hommes sont, en plus, inculpés par le T.P.I.R qui s’est dessaisi au profit de la France, suivant son Règlement de Procédure et de Preuve (art.11bis). Le Procureur du T.P.I.R a élevé la voix récemment pour se plaindre de l’inertie de la justice française. Rappelons que la France a été condamnée le 8 juin 2004 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour n’avoir pas jugé Wenceslas Munyeshyaka dans un délai raisonnable. En vain. Le temps fait donc son travail. Rose Rwanga, une des principaux témoins contre Wenceslas Munyeshyaka, vient de mourir sans avoir eu le soulagement de pouvoir un jour témoigner contre celui qu’elle accusait depuis 1994 d’avoir donné l’ordre de tuer sa fille Hyacinthe. Le soulagement est par contre du côté de Wenceslas Munyeshyaka.

Nul doute que les juges vont s’intéresser au cas du capitaine Simbikangwa. Colette Braeckman vient de nous apprendre qu’il a été transferré en métropole afin de faciliter l’enquête sur son implication présumée dans le génocide. Le capitaine Simbikangwa à qui le président Clinton s’était adressé le 22 avril 1994 pour exiger la fin des massacres, a été « découvert » à Mayotte tout à fait par hasard, le 28 octobre 2008, par la police française qui enquêtait sur un trafic de faux papiers. Ce serait grâce à un policier un peu plus curieux que les autres, que la police de Mayotte aurait appris qu’il était recherché par Interpol. C’est une bien jolie histoire, une histoire reprise en cœur par tous les journalistes français, mais une histoire fausse. La police française et les renseignements généraux connaissaient bien entendu la présence de ce demandeur d’asile sur le territoire français. Si le capitaine Simbikangwa était resté calmement à Mayotte en tenant un bistrot de quartier plutôt que de se lancer dans la confection industrielle de faux papiers (plusieurs milliers tout de même !) il y aurait fini ses jours sans être dérangé par la justice française.

En Europe, vivent des Rwandais accusés de génocide, d’autres dirigent politiquement un groupe armé qui fait des ravages au Congo les F.D.L.R (Forces Démocratiques de Libération du Rwanda), composé surtout de gens qui ont commis le génocide, mais pas seulement. Le chef politique de ce mouvement, Ignace Murwanashyaka, et son ajdoint, Straton Musoni, viennent d’être arrêtés en Allemagne. Ils sont accusés de crimes de guerre et crimes contre l'humanité pour des actes commis en R.D.C après le génocide des Tutsi au Rwanda. Mais, le secrétaire exécutif de cette organisation terroriste (selon la C.I.A), Callixte Mbarushimana vit lui en France où il a obtenu l’asile politique. Cet homme est en plus, également accusé de génocide au Rwanda par de nombreux rescapés. Il vient de déclarer qu’il se tient à la disposition de la justice française. Est-ce que la justice française s’interessera à lui ?

On peut se demander légitimement d’où vient cette mansuétude incompréhensible de la France pour des Rwandais accusés des pires crimes. Bien sûr, il faudrait revenir sur le soutien inconditionnel de la France à l’ancien chef d’État rwandais Juvénal Habyarimana, qui a organisé pendant des années un apartheid ethnique au Rwanda, sur le soutien militaire de la France pendant trois années aux forces armées rwandaises et aux miliciens Interahamwe qui ont commis un génocide contre les Tutsi et qui ont éliminé les Hutu opposés à l’extermination des Tutsi. Mais concernant le droit d’asile inconditionnel accordé à certains rwandais, tout a vraiment commencé le 9 avril 1994. Ce jour-là, avant même d’évacuer ses propres ressortissants, la France a envoyé vers Paris, Agathe Habyarimana, sa famille et ses proches. Dès son arrivée en France, dans son appartement parisien, Agathe Habyarimana a reçu un chèque de 200 000 F (30 500 Euros) du ministère de la coopération française pour « raisons humanitaires ». Puis elle a reçu des fleurs de la part de François Mitterrand. Oui, des fleurs. Au même moment, au Rwanda, la France abandonnait aux tueurs son personnel Tutsi menacé d’extermination, dans le même temps, les fidèles de Juvénal et Agathe Habyarimana étaient à l’oeuvre, décimaient nos familles. 15 ans après son arrivée en France, Agathe Habyarimana vient de voir sa bataille juridique close. La décision de l’O.F.P.R.A de lui refuser l’asile est désormais définitive. Ce refus avait été motivé parce qu'il y a « des raisons sérieuses de penser qu’Agathe Kanziga, veuve Habyarimana, a participé en tant qu'instigatrice ou complice à la commission du crime de génocide, entendu au sens des stipulations de l'article 1er , F, a) de la convention de Genève » . Sera-t-elle jugée à Paris ou va-t-elle opportunément retourner au Gabon, pays qui lui avait offert un passeport diplomatique ?

Après ce 9 avril, il y a eu le 12 avril 1994, ce jour là, la France a évacué vers le Burundi, puis le Congo, les 179 personnes réfugiées dans son ambassade, tous Hutu, tous proches du pouvoir, à quelques exceptions près. Parmi ces invités spéciaux : Ferdinand Nahimana qui a été condamné par le T.P.I.R pour le crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide et pour persécution constitutive de crime contre l’humanité, d’autres sont en cours de procès devant le T.P.I.R (Casimir Bizimungu, Justin Mugenzi, Augustin Ngirabatware et Callixte Nzabonimana). Et puis, il y a ceux qui ont échappé à toute poursuite comme Eugène Mbarushimana, qui était pourtant le secrétaire général des Interahamwe. Il y a eu aussi l’Opération Turquoise et l’exfiltration de hauts cadres rwandais soupçonnés de génocide vers le Congo, comme le préfet Kayishema, condamné plus tard à la prison à vie pour génocide par le T.P.I.R. Si la France protège un Nahimana, un Kayishema ou un Mbarushimana, « pourquoi pas moi » se sont dits de nombreux rwandais impliqués dans le génocide.

C’est une longue histoire vraiment, une histoire à laquelle il est désormais temps de mettre un terme. Bon travail Mesdames Pous et Ganascia !

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Rose, je salue ton courage exceptionnel d’avoir témoigné, d’avoir dit comment cela s’est vraiment passé, comment les tiens ont été assassinés ce jour-là à l’église de la sainte famille. Nous sommes nombreux à emboîter ton pas, ton combat est le nôtre, ntabapfira gushira. Ikivi wateruye tuzagisoza. Iruhukire. [On ne peut pas faire disparaître tout le monde. Nous terminerons de labourer le champs que tu as commencé. Repose en paix.].

Références:

Rose Rwanga:

Justice en France :

Rwandais accusés de génocide vivant en France,

Eugène Rwamucyo

Agathe Kanziga, veuve Habyarimana:

    Callixte Mbarushimana et les FDLR :

      Capitaine Pascal Simbikangwa

        Wenceslas Munyeshyaka

          Laurent Bucyibaruta

            Eugène Mbarushimana :

              Sur le site Trial Watch, voir les fiches suivantes :