08/01/2010

Rosalie Gicanda, la dernière reine du Rwanda

Portrait de l'umwamikazi, Rosalie Gicanda, épouse de Charles Mutara Rudahigwa, Mwami du Ruanda.

(Source : Atlas du Congo Belge et du Ruanda-Urundi par Pierre Ryckmans, 1955)


Comme toutes les personnes de sa génération, elle commençait par poser au visiteur la question rituelle « Ese uba uwa nde ? Uturuka m'uwuhe muryango ? »[1]. Lorsqu’on lui répondait, mon père est tel, c'est un umwega de Rugarama rwa Kigali, ma mère est une umujijikazi de l'ubuliza originaire du Buganza, elle se lançait alors dans une recherche généalogique savante pour savoir si elle connaissait un de nos ancêtres. Devant cette vieille femme magnifique, nous étions toujours très impressionnés, et puis la conversation débutait. Sa maison était très connue à Butare, les pauvres venaient y recevoir un repas, un verre de lait, tout le monde pouvait la rencontrer sans aucune forme de protocole, que vous soyiez Hutu, Twa ou Tutsi, sa porte était constamment ouverte. Rosalie Gicanda était pourtant une reine, la veuve du Mwami Mutara Rudahigwa dont la mort le 25 juillet 1959 avait été le prélude aux pogroms anti-Tutsi et à l’exil de milliers d’entre eux du Rwanda. Elle, avait décidé de rester, même lorsque son beau-frère, le Mwami Kigeli V avait quitté le pays le 14 novembre 1960. Unique représentante de la monarchie au Rwanda, elle était placée sous la protection des régimes successifs de Kayibanda et de Habyarimana. Ces régimes ethnistes n’ayant aucun intérêt politique à ce qu’il lui arrive quelque chose... Elle vivait à Butare, simplement, et se consacrait à l’aide des plus démunis.


J'ai profité de mes années universitaires dans cette ville, pour la rencontrer, curieuse que j’étais des vieilles histoires rwandaises, de nos coutumes. A mon retour chez moi, j’impressionnais ma grand-mère, Bibi, lorsque je lui relatais mes rencontres avec la reine Gicanda. Bibi enthousiaste pouvait me harceler à son sujet pendant des jours entiers, pour que je répète encore et encore les histoires de Gicanda.


En 1978, un de ses neveux, réfugié rwandais en Ouganda, avait pris tous les risques, à 21 ans, pour s’introduire clandestinement au Rwanda, dans le seul but de rencontrer sa prestigieuse tante, la sœur de sa mère (voir photo ci-contre). Plusieurs années plus tard, ce jeune homme est revenu dans son pays d’origine. Il est aujourd’hui le président de la République du Rwanda.


Et puis, il y a eu le génocide. Le 20 avril 1994, des barbares se sont introduits chez elle, l’ont enlevée avec six autres femmes de son entourage dans une camionnette, l’ont exhibée dans les rues de la ville, puis ont exécuté la reine Gicanda et ses six amies[2]. Rosalie Gicanda avait 80 ans. Les exécutants de ce carnage, le sous-lieutenant Pierre Bizimana et le Dr Kageruka, ancien médecin à l'Hôpital Universitaire de Butare, ont été condamnés à mort le 27 juillet 1998 par la Chambre spécialisée de la Cour militaire, siégeant à Butare.


Le capitaine Ildephonse Nizeyimana accusé par le Procureur du TPIR d’avoir commis le génocide à Butare et d'avoir commandité l'assassinat de la reine Gicanda, a été arrêté en Ouganda le 5 octobre 2009, et transféré à Arusha. Devant ses juges, il plaide non coupable.




[1] Littéralement « de qui viens-tu ?» De quelle famille viens-tu ? En fait « à quel clan appartiens-tu ?». Il existe 18 clans principaux au Rwanda. Lire notamment « Les clans du Rwanda ancien : éléments d'ethnosociologie et d'ethnohistoire » de Marcel d'Hertefelt ou « La non-validité de la notion d'ethnie au Rwanda » par Justin Gahigi.

[2] Par miracle une des six personnes exécutées, une adolescente, a survécu. Lire le récit du drame dans «Aucun témoin ne doit survivre.»