Le 7 avril, je me souviens.
Oubliés parmi les morts, terrés dans une improbable cache, sauvés par un bon samaritain, épargnés par un tueur fatigué de tuer, rescapés par chance ou une arme à la main, nous sommes restés. Pareils à des grains de blé dans un champ moissonné, à des miettes après un repas. Nous sommes là. Nous sommes des arbres sans branches. Nous sommes quelque part, entre les morts et les vivants. Sans famille. De temps en temps, un 7 avril, on vient nous chercher. On nous demande de raconter. Alors on raconte. Et puis, on nous oublie.
Le 7 avril au Rwanda, les survivants du génocide sont importants.
Le 7 avril au Rwanda, on évite de tuer les survivants du génocide qui témoignent dans les Gacaca.
Le 7 avril à l'ONU, on répète : « Plus jamais ça ! »
Le 7 avril aux Etats-Unis, on a depuis longtemps oublié le terme juridiquement non contraignant : « actes de génocide ».
Le 7 avril en Afrique, on compatit pour les Rwandais, mais on se souvient surtout du beau parcours du Nigéria pendant la coupe du monde 1994.
Le 7 avril en France, c’est la saison des négationnistes. Ils sont invités sur les plateaux télé face à ceux qui ne sont pas fatigués de répéter qu’il y a eu un génocide au Rwanda. Ces « spécialistes », ces « enquêteurs » qui ne connaissent de mon pays que ce qu’en dit Google, expliquent le sourire en coin que « cela ne s’est pas vraiment passé comme cela ». Que ce sont les Tutsi qui ont organisé le génocide des Tutsi, que des Tutsi déguisés en miliciens Hutu, exterminaient les Tutsi. Les Tutsi ? Une race de menteurs congénitaux. Et ils sont pris au sérieux.
Le 7 avril en France, personne ne remarque que le pays de Badinter a sur son sol le plus grand nombre de Rwandais suspectés de génocide. La France qui est aussi un des rares pays européen qui n’en ont jugé aucun. Ceci explique cela.
Le 7 avril en France, les rares journalistes qui s'intéressent au génocide des Tutsi, enquêtent, rapportent, informent ; et puis un jour, ils se taisent. Ils se taisent, car, comme l’a écrit Christophe Ayad, l’Afrique [vous] indiffère. Au printemps 1994, il n'y a qu'Ayrton Senna qui soit mort.
Le 7 avril des citoyens français se rappellent scandalisés que pour le Président Mitterrand un génocide en Afrique ce n’est pas trop important, que pour le Premier ministre De Villepin le génocide des Tutsi devient les génocides du Rwanda.
Le 7 avril 1994 au Rwanda, nous étions un million. Trois mois plus tard nous n’étions plus. Tous les Tutsi du Rwanda devaient être tués. Et ils l’ont été.