03/06/2009

Domestiques ou esclaves ?


Esclavage. Est-ce que le mot est trop fort lorsqu’on évoque la condition de certains de nos concitoyens qu’on appelle au Rwanda ababoyi [1]? « Ce ne sont pas des esclaves, ils sont payés, logés et nourris ! » c’est ce que m’avait répondu un compatriote lorsque j’évoquais la situation détestable des employés de maison. Lorsqu’on rémunère une personne entre 2500FRW et 10000FRW par mois [3,10 et 12,40 Euro], que cette personne est logée dans ce qui est appelé une «boyerie» [2] , qu’elle est nourrie des restes de repas de la famille, que cet employé souvent mineur travaille 20 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qu’il est souvent insulté et parfois battu, est-on plus près du statut d’employé que de celui d’esclave ?

Lorsque je retourne dans mon pays, je suis souvent scandalisée par la situation de ces personnes. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on rapporte des cas de viols de jeunes domestiques servant des employeurs brutaux [4] , ceux-ci n’étant souvent que des frustrés passant leurs nerfs sur des plus faibles qu’eux. L’abject a côtoyé le pire lorsqu’ une rescapée du génocide de 18 ans qui travaillait comme employée de maison, fût violée par son patron alors qu'elle était encore mineure. Celui-ci n'a eu aucun problème avec la justice, par contre, la malheureuse fut emprisonnée pour... avoir avorté (The New Times, 23/10/2007). L’avortement était toléré dans la société traditionnelle rwandaise, des femmes le pratiquaient à l’aide des plantes. Ce n’est que sous le très catholique régime de Grégoire Kayibanda, et sous le patronage de Mgr Perraudin, qu’il fût criminalisé. Il l'est toujours...

Les domestiques sont sous-estimés malgré les services immenses qu'ils rendent à leur patron, les nounous devenant souvent la deuxième maman des enfants qu'elles gardent. Pourtant, la compagnie de téléphone MTN a vu ses ventes chuter brutalement après que cette compagnie a choisi un domestique pour illustrer sa campagne d’affichage… (Les Nouvelles de Kigali, 03/02/2009). Que dire également de la très populaire série «comique» rwandaise Kanyombya qui se fait parfois le messager de ce qu’il y a de pire dans notre société ? On y voit dans un épisode un employé de maison brutalisé, insulté et humilié par une femme particulièrement vulgaire, censée représenter le nec plus ultra de la bourgeoisie rwandaise (voir le passage en question à partir de 1:30m).

Il est paradoxal que des personnes qui veillent dans la maison, à la sécurité, à l'hygiène, à la confection des repas ou même à l'éducation des enfants soient sous-payées, maltraitées et sous-estimées. C'est dangereux car cette violence physique et morale subie quotidiennement par les employés peut aboutir à des drames. Des employés de maison maltraitant les enfants en bas-âge des patrons par exemple, mais on peut arriver à des situations extrêmes : une nounou non payée pendant 9 mois qui enlève le bébé dont elle avait la charge ... depuis sa naissance (The New Times, 31/01/2008).

Le problème des employés-esclaves n’est pas un problème rwandais, c’est un problème commun à toutes les sociétés en voie de développement. Même si on constate une aggravation très inquiétante des inégalités sociales dans la société rwandaise, le gouvernement rwandais fait preuve de volontarisme social. Le Rwanda a donné le pouvoir aux femmes, il a créé la couverture maladie universelle accessible aux plus pauvres, il a instauré la gratuité totale de l’enseignement primaire, il a aboli la peine de mort, il mène une lutte exemplaire contre la corruption et pour la bonne gouvernance... Des fonctionnaires rwandais sont conscients du problème, comme Edmond Tubanambazi, conseiller juridique au sein du ministère du Travail qui a exprimé son inquiétude au journaliste Jean-Fichery Dukulizimana [3].

Notre pays doit donc se lancer dans une vaste campagne de sensibilisation pour que les employés de maison soient respectés et correctement rémunérés. Il en va de l’image et de l'honneur de notre pays. L’État doit aider les employés à faire valoir leurs droits auprès des employeurs indélicats, cela pourrait passer par le soutien de l'État à la création d'une puissante association d'employés de maison. Beaucoup d’employeurs se comportent correctement avec leurs employés, mais ils ne sont malheureusement pas majoritaires.

Dans le Rwanda de nos grands-parents, le chef de famille devait respecter les employés de maison comme les propres membres de sa famille. On les appelait abanyanzu [intendants de la maison] et non pas ababoyi. Que sont devenues ces valeurs traditionnelles ?

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A lire les réactions de citoyens rwandais qui prennent publiquement la défense des employés de maison (en anglais)
Stories of housemaids that are never told par Eddy Mukaya, Respect housemaids par J.B Rutarenara.

Mise à jour : lire le nouvel article de l'agence Syfia "Abuser des domestiques c'est les violer" par Fulgence Niyonagize (2 juillet 2009).
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[1] rwandisation du terme boy ou boyesse utilisé par les colons belges.

[2] ce nom très proche de « porcherie » qui est utilisé sans ironie est pourtant parfaitement appropié puisqu’il s’agit trop souvent d’une petite pièce obscure avec un vieux matelas par terre.

[3] lire Rwanda : les jeunes domestiques, travailleurs sans droits de Jean-Fichery Dukulizimana ( agence Syfia).

[4] une majorité des jeunes filles employées de maison sont violées par leur patron d'après l'association ActionAid International Rwanda qui a publié le rapport "Gender Based Violence on House Girls in Rwanda" (23/11/2007) (The New Times, 24/11/2007).