20/02/2010

Rwanda : Nicolas Sarkozy au Mémorial du génocide des Tutsi

Un père et sa fille, tous deux rescapés du génocide, au Mémorial du génocide de Gisozi 
(source Kagatama)

Qu’aurait dit Bibi ? Qu’aurait dit ma grand-mère Bibi, si elle avait su que 16 ans après son assassinat, le chef des armées, Nicolas Sarkozy, viendrait de France pour se recueillir devant sa dépouille au mémorial de Gisozi, à Kigali ? Elle qui avait tant peur des soldats français qui patrouillaient dans sa région… Iby’isi ni gatebe gatoki[1]; certainement. Quant à ma mère qui repose à ses côtés, je sais que cela ne l’aurait pas du tout impressionné, elle m’aurait dit «tout cela c’est du spectacle, des mots, rien de plus. Ne lui fais pas confiance». Et mon frère et son épouse qui se trouvent à quelque mètres, qu’auraient-ils dit ? Ma belle-soeur aurait sans doute murmuré : «j’ai travaillé pour vous, pour la fameuse coopération culturelle franco-rwandaise et vous nous avez abandonné à la mort, sans oublier d’embarquer vos amis les tueurs, y compris le secrétaire général des Interahamwe ! Vos fleurs ne nous consolent pas.» Et ma petite soeur, qui gît avec eux à Gisozi ? J’imagine qu’elle aurait crié avec le même regard triste et désabusé, que le jour où les soldats français contrôlaient ses papiers en février 1993 pour vérifier son ethnie : «je suis morte à 20 ans, parce que j’étais Tutsi. Un Président de la République Française peut déposer toutes les fleurs qu’il veut sur ma tombe. C’est trop tard !»

Nous l’aurons compris, c’est pour nous, les vivants, que Nicolas Sarkozy se déplacera au Rwanda, le 25 février, pour une visite éclair de seulement 3 heures. Nos morts, eux, s’en moquent.

Il faut avouer malgré tout que pour les rescapés du génocide le message est fort. Je garde toujours à l’esprit, le profond dégoût que m’avait inspiré le ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, le jour où, de passage à Kigali, le 13 août 2001, il avait refusé de se recueillir devant un site commémorant le génocide afin de se soustraire à «l'instrumentalisation du drame  par l'actuel régime.»

Bien sûr, il faudra que cette cérémonie s’accompagne de la vérité. Bernard Kouchner, a déjà reconnu que la France avait commis au Rwanda «une faute politique», ce qui n’est pas rien. J’attends de savoir comment le Président de la République Française va qualifier cette politique. Celle qui a consisté à soutenir avec acharnement, sans discernement, pendant de nombreuses années un régime fondé sur l’ethnisme. Un régime qui, avec son armée et ses milices, formés et armés par la France, a commis un génocide faisant plus d’un million de morts.

Le ciel est bleu, l’heure est grave. Nous sommes le 25 février 2010. Les deux chefs d’États, le Rwandais et le Français sont debout, côte à côte, le silence se fait dans l’assistance, ils prennent un air triste.

A quoi pensent-ils ?

On lui demande de retirer sa ceinture, ses lacets, sa montre. Avec ses amis, on le conduit dans un cachot, il ne comprend pas, il ne parle pas le français et de toute manière, on ne lui explique rien. Nous sommes en janvier 1992. Le jeune chef militaire des rebelles du FPR, invité par les autorités françaises à Paris pour négocier la paix, vient d’être jeté dans un cachot d’un commissariat parisien, après avoir été interpellé par des policiers armés dans sa chambre d’hôtel. Il sera libéré neuf heures après sans un mot d’excuse. Ce sera la première et la dernière fois que Paul Kagame foulera le sol de la patrie des droits de l’homme.

Le président français, se remémore son passage au journal de 20H00 de France 2, le 20 juillet 1994, alors qu’il n’était que le jeune porte-parole du gouvernement : «c’est tout à l’honneur de la France d’engager une opération humanitaire.[...] Imaginez un peu ce que seraient ces images s’il n’y avait pas la zone de sécurité, si les soldats français de l’opération Turquoise n’avaient pas fait ce qu’ils ont fait avec un courage formidable.» «L’opération Turquoise» permettra aux cerveaux du génocide et aux exécutants de fuir la justice de leur pays et de créer ce qui deviendra les milices terroristes FDLR dont le chef vit toujours à Paris.

Le vieil Ignace, participe à la cérémonie, en tant que membre de l’association des rescapés du génocide, il a perdu son épouse et deux de ses enfants dans le génocide. Il se demande ce qu’il doit penser de tout cela. «La France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité», cette déclaration, elle sort bien de la bouche de deux ministres français, non ? Et aujourd’hui le Président de la France va certainement prononcer des mots gentils devant la tombe de milliers de victimes du génocide. Mais pourtant, la France reste, avec le Congo, le meilleur asile au monde pour ceux qui ont commis le génocide des Tutsi. Depuis 16 ans, la France c’est Byzance pour Callixte Mbarushimana and co ! Ils y sont régularisés, ils y travaillent, ils y sont soignés, et, après 16 ans d’impunité absolue, ils ont bien compris que la justice française n’ira jamais jusqu’au bout du brassage d’air. Alors à quoi tout cela rime-t-il ?

Immaculée, journaliste au journal francophone «La Nouvelle Relève» venue couvrir l’évènement pense au  premier ministre français, Dominique de Villepin qui avait évoqué sur RFI, le 1er septembre 2003 : «les terribles génocides qui ont frappé le Rwanda» utilisant en toute connaissance de cause le pluriel. Dominique de Villepin donnera ainsi le signal de départ à une stratégie de communication sur le thème révisionniste du «double génocide», une communication qui restera une particularité française dans le monde occidental

Eustache était un des membre fondateur du PSD dans les années 1990. Professeur d’université, aujourd’hui sénateur, il a été invité à cette cérémonie qu’il attendait depuis très longtemps. Pourchassé pendant le génocide, il a perdu des amis et son frère dans le génocide. Il n’était pas Tutsi mais il était connu pour ses positions claires contre l’ethnisme prôné par le régime. Il se remémore sa stupeur, le 28 février 1993, lorsque il a entendu à Kigali le ministre français de la coopération, Marcel Debarge, exhorter les Hutu à créer un «front commun» contre le FPR. Ce qui accélèrera la création à la fin de 1993 de ce qu’on a appelé le Hutu Power, l’alliance sur une base ethnique de la majorité des partis d’opposition avec les partis MRND et CDR. 

Alivera est aujourd’hui haut fonctionnaire au ministère de l’économie. Elle est rentrée du Canada, juste après le génocide pour aider son pays après une vie d’exil forcé. Economiste, elle se rappelle ce que certains ont appelé Rwanda Acte II ou le jour d’après. Le pays était dévasté, les infrastructures détruites, les banques vidées, les intellectuels, les médecins, les fonctionnaires, les agriculteurs tués ou en fuite au Congo. Et à ce moment-là, elle se souvient qu’un pays membre du conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Union Européenne faisait tout pour bloquer les fonds à destination du Rwanda. Ce pays qui vient d’offrir la somme de 326 millions d’euros à Haiti, c’était la France.

Uniforme impeccable, médailles sur le torse, au garde à vous, John se souvient de ce jour de juin 1992 où deux de ses compagnons, ses meilleurs amis, furent pulvérisés à ses côtés, lui s’en sortira avec une vilaine blessure à la jambe gauche et une démarche claudicante. C’était dans la région de Byumba, face à lui les Forces Armées Rwandaises qui avaient à leur côté des soldats français …..règlant les tirs des canons. John jette un regard grave sur la délégation française mais il se dit que son pays a besoin de la paix.

Nous sommes, le jeudi 25 février 2010, le silence règne, les Rwandais attendent que Nicolas Sarkozy, Président de la République Française prenne la parole…


[1] La roue tourne.
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 Références :

19/02/2010

Rwanda: Nicolas Sarkozy Due To Visit The Tutsi Genocide Memorial

Father and daughter, both genocide survivors, at the Gisozi Genocide Memorial (source Kagatama). 


What would Bibi have said? What would grandma Bibi have said had she known that 16 years after her murder, the head of the armed forces, Nicolas Sarkozy, would travel from France to pay his respects at her grave at the Gisozi memorial in Kigali, considering that Grandma Bibi was so afraid of the French soldiers who patrolled her area… Iby’isi ni gatebe gatoki;[1] indeed. As for my mother, who is buried next to grandma, I know that she would not have been impressed by all this. She would have said: “It is just showmanship, lip service, nothing more. Do not listen to him. What about my brother and his wife, who are buried a few metres away? What would they have said? My sister-in-law would no doubt have said something like, ‘I worked for you, for your so-called Franco-Rwandan cooperation, but you ran away and left us to die – taking with you your friends the killers, including the Secretary General of the Interahamwe! Your flowers mean nothing to us’. As for my little sister, also buried in Gisozi, I imagine that she would have cried out with the same sad, disillusioned look on her face, that the day in 1993 when the French soldiers demanded her papers in order to check her ethnicity, ‘I died at age 20, because I was Tutsi. A French President can go ahead and put as many of flowers as he wants on my grave. It’s too little too late!’



We do realize that it is for us, the living, that Nicolas Sarkozy is travelling to Rwanda on 25 February for a lightning 3-hour visit. Our dead couldn’t care less.

It must be said, however, that for the survivors of genocide, this sends a strong message. I can never forget how utterly dismayed I felt when, while he was visiting Kigali on 13 August 2001, the French Minister of Foreign Affairs, Hubert Védrine, refused to pay his respects at a genocide memorial site because he did not want to be drawn into the ‘exploitation of the tragedy by the regime in place.’

Needless to say, this event must reflect the truth. Bernard Kouchner has acknowledged that France ‘made a political blunder’ in Rwanda; that is a powerful statement. I am curious to see how the French President will explain France’s policy of lending unwavering, long-term support to a regime which was founded on ethnic division. A regime whose army and militia - trained and armed by France - carried out the genocide in which over a million lives were lost.

The sky is blue. The moment is sombre. Today is Thursday, 25 February 2010. The two Presidents, of France and Rwanda, stand side by side; there is silence in the audience. They are in sombre mood.

What is going on in their minds?

He was told to remove his shoes, shoelaces and watch. Along with his friends, he was led to a cell; he had no idea what was happening; he did not speak French, and, what’s more, no one explained to him what was happening. This was back in January 1992. Having been invited to Paris for peace negotiations, the young military leader of the RPF rebel movement was detained after being arrested in his hotel room by armed police. He was released nine hours later without an apology. This was the first and last time that Paul Kagame travelled to France, a country which prides itself in promoting and upholding human rights.

The French President surely remembers the comments he made on the 8 o’clock news on France 2 television on 20 July 1994, at a time when he was only a government spokesman, ‘Launching a humanitarian operation.is much to France’s credit. [...] Can you imagine what would have happened had the security zone not been in place, had the French soldiers engaged in Operation Turquoise not done what they did with such tremendous courage’? Thanks to Operation Turquoise, the masterminds and perpetrators of the genocide escaped justice in their country and formed the FDLR, a terrorist militia group whose leader still lives in Paris.

Ignace, an elderly man, is attending the event as a member of the Association of Genocide Survivors. He lost his wife and two children in the genocide. He is at a loss as to what to make of all this. ‘France is, and will always be, a sanctuary for perpetrators of genocide, war crimes or crimes against humanity.’ Wasn’t this statement made by two French ministers? Today, the President of France will no doubt have some kind words to say at the place where thousands of victims of genocide are buried. Yet France, along with Congo, is the number one sanctuary for those who committed the genocide of the Tutsi. Sixteen years on, France is still the Promised Land for the likes of Callixte Mbarushimana! They are provided with residency papers, employment and health care and are allowed to operate with total impunity. They have realised that the French judicial system will do nothing more than pay lip service. So what’s the point of all this?

Immaculée, a reporter for the newspaper La Nouvelle Relève, is covering the event. She remembers the remarks made on RFI radio on 1 September 2003 by the then French Prime Minister, Dominique de Villepin. Mr de Villepin spoke of ‘the terrible genocides in Rwanda’, deliberately using the plural. He thus ushered in a communication strategy consisting in maintaining the argument of ‘double genocide’, something that is unique to France among Western countries

Eustache was one of the founding members of the PSD party back in the nineties. A former university lecturer, now a senator, he has been invited to this ceremony, something he has anticipating for a long time. Chased and hounded during the genocide, he lost a number of friends and his brother to genocide. While he is not Tutsi, he had a reputation for being an outspoken opponent of the regime’s policy of ethnic discrimination. He shudders to remember the remarks made in Kigali on 28 February 1993 by the French Minister of Cooperation, Marcel Debarge, who urged the Hutu to form a common front against the RPF. What followed swiftly, in late 1993, was the creation of what became known as Hutu Power, an ethnically-based alliance between the majority of the opposition parties and the MRND and CDR.

Alivera, an economist, is a senior official in the Ministry of the Economy. She returned from Canada soon after the genocide to help her country after living in forced exile. She remembers what some have termed Rwanda Act II or The Day After. The country was devastated, the infrastructure was in a shambles and the banks were cleaned out; the intellectuals, doctors and civil servants had either been killed or had fled to Congo. She remembers that one country - a member of the United Nations Security Council and the European Union - did everything in its power to ensure that no funds reached Rwanda. The country in question was none other than France. It recently donated 326 million euros to Haiti.

Clad in a spotless uniform complete with medals and standing at attention, John remembers the day in June 1992 when two of his closest friends were blown to pieces right next to him; he escaped with a nasty injury to his left leg and a limp. This happened in Byumba. Facing him were Rwandan Armed Forces, with French soldiers …..setting up the artillery. John glances gravely at the French delegation, but he realises that his country needs peace.

Today is Thursday 25 February 2010. All is quiet. The people of Rwanda are anxiously waiting to hear what Nicolas Sarkozy, President of the Republic of France, has to say…


[1] The wheel is turning.