31/12/2008

Madame Alison Des Forges, vous êtes la bienvenue au Rwanda.

Alison Des Forges est à l’origine de ce qui est, à ce jour, le meilleur rapport écrit sur le génocide des Tutsi du Rwanda. Leave None to Tell the Story [Aucun témoin ne doit survivre] de l’organisation Human Right Watch est une référence pour tous ceux qui s’intéressent au génocide des Tutsi. Leave None to Tell the Story est abondamment cité par les meilleurs chercheurs sur la question, notamment par Jean-Paul Kimonyo, auteur de « Rwanda, un génocide populaire » et décrié bien entendu par tous ceux qui veulent « réviser » l’histoire du génocide. Alison Des Forge a, en outre, été citée comme «témoin-expert» par le Procureur du TPIR dans de nombreux procès dont celui de Théoneste Bagosora.

Pourtant, Alison des Forges, membre dirigeante de Human Right Watch, s’est vue refusée l’entrée au Rwanda le 2 décembre dernier pour « des motifs personnels » selon Anaclet Kalibata, le directeur de l’immigration du Rwanda, alors même qu’en tant que citoyenne américaine, elle n’a pas besoin de visa d’entrée (voir The New Times du 30 décembre 2008). Si on parle de motifs personnels, le Rwanda devrait plutôt décorer Madame Des Forges, il devrait plutôt la célébrer et l’accueillir comme il se doit.

Alison Des Forges s’est récemment battue pour que des Rwandais accusés de génocide ne soient pas extradés vers le Rwanda, elle a émis des critiques sévères sur le système judiciaire rwandais, c’est certainement ce qui lui a valu ce refus d’entrée au Rwanda. Je ne suis personnellement pas du même avis que Madame Des Forges car j'estime que justice doit être rendue devant les victimes du génocide, devant les Rwandais, au Rwanda, afin de sensibiliser les générations futures.  Le procureur de la République du Rwanda, Martin Ngoga, a permis à la justice rwandaise de faire des avancées importantes, il est encore prêt à donner toutes les garanties nécessaires pour que des procès de Rwandais extradés soient possibles au Rwanda (voir The New Times du 23 novembre 2008). Je ne suis pas d'accord avec Madame Des Forges, pourtant je respecte son point de vue et je souhaite qu’elle puisse l’exprimer, même au Rwanda, surtout au Rwanda.

Si le Rwanda a manqué à ses obligations d’hospitalité envers Alison Des Forges, il a surtout commis une faute politique. Refouler une militante des droits de l'homme aussi respectée ne résoudra pas les problèmes du Rwanda. Bien au contraire. La communauté internationale mais surtout le nouveau président des Etats-Unis d’Amérique, Barack Obama, pourrait croire que le Rwanda n’est pas prêt au débat démocratique et pourrait être tenté de retirer son soutien indispensable à notre pays. 

Et ce n'est pas avec ce type d'acte politique que le Rwanda pourra convaincre les juges internationaux que des procès équitables sont possibles dans notre pays.

19/12/2008

Théoneste Bagosora et les «massacres excessifs».

Théoneste Bagosora ne croit pas au génocide : « je ne crois pas au génocide […] la plupart des gens raisonnables admettent qu'il y a eu des massacres, des massacres excessifs, dont il faut trouver une explication. »[1]

Les Juges du Tribunal pénal international pour le Rwanda, Erik Møse, Jai Ram Reddy et Sergei Alekseevich Egorov, ont entendu 242  témoins, durant les 409 jours d'audience du procès dit «des militaires », examiné 1600  pièces à convictions, lu 4500 pages d'écritures des Parties. Ils ont trouvé une explication : Théoneste Bagosora a organisé le génocide des Tutsi et l'assassinat des opposants Hutu au régime Habyarimana[2], il s'est également rendu coupable de l'assassinat de dix casques bleus belges[3] dans le but, réussi, de faire fuir du Rwanda, le meilleur bataillon de la MINUAR, le bataillon belge Kibat qui aurait peut-être pu stopper le génocide. Théoneste Bagosora a été condamné à la prison à vie pour génocide, crime contre l'humanité et crime de guerre, avec ses deux co-accusés le colonel Nsengiyumva et le commandant Ntabakuze.

Hier soir, le 18 décembre 2008, j'ai eu une pensée pour vous mes parents, ma sœur, mon frère, ma belle-sœur, ma grand-mère, mes tantes, oncles et cousins, mes amis Tutsi et Hutu, vous tous  que j'aimais, et qui avez  été exterminés, certains avec vos bébé dans les bras, parce que vous étiez Tutsi, tout simplement, ou parce que vous étiez Hutu, et que vous vous opposiez à l'idéologie ethniste du dictateur Habyarimana. Cela s'appelle le massacre des opposants Hutu, un crime contre l'humanité. Cela s'appelle un génocide, le génocide des Tutsi. 

Abanjye mwese, abavandimwe, inshuti, muhumure, Bagosora yaratahuwe[4].

 

A écouter sur le site de France Inter ou en vidéo sur Dailymotion, Patrick de St Exupéry et Esther Mujawayo. Patrick de St. Exupéry y évoque notamment le jour où il a entendu Bagosora au TPIR, à Arusha parler de « massacres excessifs ».

[2] La Première Ministre Agathe Uwilingiyimana, Joseph Kavaruganda,  Président de la Cour Constitutionnelle, Frédéric Nzamurambaho (ministre de l'agriculture et leader du parti PSD) et Faustin Rucogoza (ministre de l'information et membre de la partie modérée du MDR). Ainsi que Landoald Ndasingwa (ministre du travail et des affaires sociales et leader du parti PL) Tutsi et opposant politique tué avec sa femme canadienne, ses deux enfants et sa belle-mère.

[3] Lieutenant Lotin, Sergent Leroy, Caporal Bassine, Caporal Dupont, Caporal Lhoir, Caporal Debatty, Caporal Meaux, Caporal Plescia, Caporal Renwa et Caporal Vyttebroeck.

[4] Réconfortez-vous, ma famille, mes amis, tous les miens, Bagosora a été confondu.

14/11/2008

Rwanda : il faut soigner le soldat Ruzibiza.



Abdul Joshua Ruzibiza, est longtemps resté cet homme en uniforme posant gentiment devant une bucolique photo alpestre. Cette image un peu ridicule a fait le tour des sites web des nostalgiques de Juvénal Habyarimana du monde entier. Car ce militaire qui avait rejoint la guérilla du FPR et terminé la guerre en juillet 1994 comme simple sergent-infirmier, prétendait avoir été «infiltré» dans Kigali en février 1994 en tant que membre d’un commando d’élite « le network commando » pour participer à l’organisation de l’attentat contre l’avion d’Habyarimana. Il s’est trouvé des personnes, pour l’aider à écrire un livre, racontant son aventure, cela donnera «Rwanda : l'histoire secrète». Que cet homme, dont toute la famille a été exterminée par les extrémistes Hutu, ne s’attarde pas sur le génocide des Tutsi, qu’il prétende qu'un imaginaire « génocide des Hutu » est l’événement le plus important de 1994, qu’il déclare que ce sont des Tutsi déguisés en Interahamwe qui ont organisé le génocide des Tutsi, tout cela n’a pas fait bronché ses «ghostwriters». Après la publication de son livre, Ruzibiza est devenu une icône dans les milieux négationnistes du génocide des Tutsi.

Ruzibiza lorsqu’il vivait au Rwanda était déjà perturbé mentalement, sans doute après le choc psychologique qu'il a subi après la perte de la totalité de sa famille dans le génocide des Tutsi, il a fait plusieurs séjours au centre psychiatrique de Ndera. Il a également eu des problèmes avec la justice de son pays, et à sa sortie de prison où il a passé un an pour détournement de fonds, il s'est enfui en Ouganda. C’était en février 2001.

Deux ans plus tard, les militaires français de l’Opération Artémis au Congo installaient à l’aéroport d'Entebbe en Ouganda, une base logistique. Très vite Ruzibiza prend contact avec des Français. On le prend au sérieux lorsqu’il raconte son histoire de «network commando». On le chouchoute, on le dorlote et, surtout, on l’écoute. Miracle, on lui promet un visa, un billet pour Paris et l’asile politique en Norvège, un des pays les plus riches du monde qui assure des conditions exceptionnelles pour les réfugiés. Alors il parle, il relate dans les moindres détails toute l'organisation de l'attentat, il associe même dans son récit un copain de régiment, Emmanuel Ruzigana, désireux comme lui de voir du pays. Le juge Bruguière lui donnera le rôle de «chargé de la protection du site de tir de missiles depuis la colline de Masaka» dans le «Network commando», il a lui aussi obtenu des autorités françaises le package France-Norvège. Emmanuel Ruzigana se rétractera le 30 novembre 2006 dans un courrier adressé au Juge Bruguière. Bien entendu, Abdul Joshua Ruzibiza se contredit sans cesse, son histoire est truffée de faits complètement invraisemblables pour qui connaît un peu le Rwanda. En premier lieu, l'impossibilité pour un homme comme lui (inconnu du cercle restreint du pouvoir militaire du FPR, composé essentiellement de Rwandais venus d'Ouganda) d'avoir été admis de près ou de loin dans des opérations ultra-secrètes, mais les enquêteurs français ignorent tout du Rwanda. La journaliste Colette Braeckman, spécialiste de l'Afrique centrale qui l’a rencontré au même moment en Ouganda est tout de suite convaincue, elle, que Ruzibiza n’est pas crédible (Le Soir, 11 mars 2004).

Les policiers français, dont un certain Pierre Payebien auraient envoyé les déclarations de Ruzibiza au Juge Bruguière qui, comme son disciple Pierre Péan, dédaigne tellement l’Afrique, les Rwandais et leur histoire qu’il ne prend même pas la peine d’enquêter et de vérifier le témoignage de Ruzibiza, devenu désormais son «témoin-clé». Après tout l’histoire du Rwanda c’est simple, ce sont des sauvages qui s’entretuent, non ?

Les quelques journalistes spécialistes du Rwanda sont eux très sceptiques. A l’exception de Stephen Smith qui écrit dans Le Monde du 10 mars 2004 : « Le témoignage d'un ancien membre du "network commando", le capitaine Vénuste Josué Abdul Ruzibiza, est au cœur de l'enquête de la justice française corroborant diverses dépositions plus fragmentaires, ce récit détaillé rend toute sa cohérence à un acte terroriste, aussi décisif pour la prise de pouvoir du FPR que funeste pour les "Tutsis de l'intérieur". […] Appartenant au groupe 1 du "network commando", Abdul Ruzibiza dit avoir effectué les repérages pour l'attentat».


Quant aux Rwandais, ils sont unanimes pour penser que même si le FPR avait organisé un attentat contre Habyarimana, il y avait autant de chance pour Ruzibiza de faire partie d’un hypothétique «network commando» d’élite, que d'être nommé chef d’état major de l’armée rwandaise. Les opposants rwandais au gouvernement du Rwanda, le savent également, mais ils ne font pas la fine bouche et tout comme ils ont utilisé Antoine Nyetera le «Tutsi-de-la-famille-royale-qui-nie-le-génocide», ils ont accueilli à bras ouverts Abdul Joshua Ruzibiza, «le-transfuge-du FPR-qui-a-participé-à-l’attentat-contre-Habyarimana».

Le 12 novembre 2008, Ruzibiza a accordé une interview à Contact FM, une radio rwandaise proche du pouvoir. Il vient de déclarer qu’il a tout inventé à 100%, dans son livre et devant les juges, pour, dit-il, tester jusqu’où pouvait aller la haine des Français contre le Rwanda et les Tutsi [1] et parce qu’il avait un différend avec le FPR, il ne peut pas s’empêcher d’ajouter une nouvelle «révélation» : ce serait les FDLR qui l’auraient mis en contact avec les Français en Ouganda. Et les journalistes de Contact FM de noter religieusement ce que dit Ruzibiza comme des dévots noteraient les révélations de Bernadette Soubirous. On peut déjà lire dans The New Times du 13 novembre [2] le nouveau scoop : la France est de connivence avec les FDLR, la preuve ? Ruzibiza l’a dit. Restons sérieux. La seule chose que prouve cette interview, c’est ce qu’on savait déjà, à savoir que Abdul Joshua Ruzibiza est un mythomane qui a été utilisé. Mais il est absurde d’essayer de prendre au sérieux ses « nouvelles révélations ».

Ruzibiza a ajouté qu’il est prêt à supporter toutes les conséquences de son mensonge. C’est préférable, car le Procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, pourrait l’inculper pour « outrage au Tribunal », suivant l’article 77 du règlement de procédure et de preuve «le Tribunal peut déclarer coupable d’outrage les personnes qui entravent délibérément et sciemment le cours de la justice ». Abdul Joshua Ruzibiza avait témoigné les 9 et 10 mars 2006 pour la défense des militaires Bagosora, Kabiligi, Ntabakuze et Nsengiyumva dans l’affaire Bagosora et consorts ICTR-98-41-T, il avait raconté devant le TPIR ce qu’il dit être aujourd’hui un mensonge monté de toute pièce. S’il est déclaré responsable pénalement (nul doute qu’il devra subir un examen psychiatrique) il encourt une peine de 5 ans d'emprisonnement ou une amende de 10 000 $ ou les deux.

Reste le livre, « Rwanda : l'histoire secrète » dont les collectionneurs de curiosité ne vont pas tarder à s’arracher les derniers exemplaires. Aujourd’hui on ne peut que conclure à l’option numéro 1 offerte par André Guichaoua et Stephen Smith dans leur article «Rwanda : une difficile vérité» paru dans le journal Libération, du 13 janvier 2006 :

De deux choses l'une : soit ce récit est une affabulation révisionniste, et il mériterait d'être dénoncé comme tel (en même temps que les deux chercheurs spécialistes du Rwanda qui l'ont cautionné) [3] ; soit le livre du lieutenant Ruzibiza vient corroborer tout un faisceau d'indices et de témoignages concordants et alors il devrait aussi porter à conséquence.
Version française de l'interview de Abdul Joshua Ruzibiza sur Contact FM:

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Lire également : "Rwanda, les mauvais procès du génocide", Christophe Ayad, Libération, 19 novembre 2008, "L'enquête à la machette du juge Bruguière", Sylvie Coma, Charlie Hebdo, 26 novembre 2008 et "Rwanda: l'homme qui en disait trop" Le Nouvel Observateur, 12 mars 2009.



[1] Par curiosité je voulais vraiment savoir jusqu'à quel point les militaires français, les politiciens français de l'époque détestaient la population Tutsi et le régime actuel, c'est ça qui était ma propre motivation. Je voulais savoir pourquoi ils nous haissent, pourquoi ils ne veulent pas de nous et pourquoi ils font tout pour renverser le pouvoir en place.
[2] [Ruzibiza] reveals French connection with FDLR..
[3] André Guichaoua, lui-même (!) et Claudine Vidal

10/11/2008

Rwanda. La France va-t-elle oser juger Rose Kabuye ?


Le major Rose Kabuye, en juillet 1994

Le 3 novembre 2008, l’Allemagne libérait Callixte Mbarushimana et Onesphore Rwabukombe, deux Rwandais pourtant accusés de génocide, en plus de cette accusation, le premier est également le secrétaire exécutif adjoint du FDLR un mouvement rebelle sévissant au Congo et qui est considéré comme terroriste par les Etats-Unis d’Amérique (voir la liste).

Le 9 novembre 2008, l’Allemagne a arrêté Rose Kabuye, chef du protocole du chef de l’Etat rwandais, sur la base d’un mandat d’arrêt émis par un juge français, Rose Kabuye ne s’est pas opposée à son extradition vers la France. Le juge Bruguière l’accuse d’avoir participé à l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du général major Juvénal Habyarimana, et d’avoir conséquemment causé la mort de trois ex-militaires français le major Jacky Heraud, le commandant Jean-Pierre Minaberry et l'adjudant-chef Jean-Marie Perrinne qui pilotaient l’avion (lire l’Express, 21 novembre 2006). Piloter l’avion d’un dictateur africain dans un pays en guerre, c’est très bien rémunéré, mais c’est dangereux. Ces hommes savaient ce qu’ils risquaient, tout comme les militaires français qui sont morts en service durant la guerre qu’ils menaient contre le FPR au nord du Rwanda, au début des années 1990[1].

Rose Kabuye qui a contribué à arrêter le génocide lorsqu’elle était major dans la rébellion en 1994, sera-t-elle la première rwandaise à être jugée en France ?

Rappelons que la France héberge, depuis 14 ans, des Rwandais accusés par des dizaines de rescapés du génocide, par des associations de droits de l’homme, mais aussi par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (Wenceslas Munyeshyaka et Laurent Bucyibaruta), pour leur participation présumée au génocide des Tutsi. Aucun n’a été jugé alors que la France est compétente pour le faire suivant la loi n° 96-432 du 22 mai 1996 . Ces hommes sont pourtant accusés, il faut le répéter, de génocide, de crimes contre l’humanité, de viols, d’assassinats... Oui, mais contre des Rwandais.

La France, « pays-des-droits-de-l’homme », va-t-elle oser montrer au monde entier, qu’elle attache beaucoup plus d’importance à la mort de trois de ses militaires, tués alors qu’ils servaient un dictateur, dans un pays en guerre qui n’était pas le leur, qu’à la mort de centaines, voire de milliers (dans le cas du préfet Bucyibaruta) de civils rwandais, exterminés froidement parce qu’ils avaient le tort d’être qualifiés de Tutsi ? La France va-t-elle encore longtemps supporter la honte d’être le pays au monde ayant sur son territoire le plus grand nombre de Rwandais accusés de génocide ?[1]
Nous, les rescapés du génocide, nous les nègres, nous les bougnoules, nous rêvons encore que l’esprit des Lumières devienne réalité. Le très bel article premier de la Déclaration des droits de l’homme, le fameux « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » fait très joli sur la cheminée de la France, mais il prend la poussière.



[1] Ils ont été tous les trois décorés le 7 juin 1994 à titre posthume au grade de chevalier de la Légion d'honneur "tués dans l'accomplissement de leur devoir le 7 avril 1994". (voir le Journal Officiel du 14 juin 1994). Lire également l'article de S. Smith du 7 avril 1995 dans Libération.

03/11/2008

Rwanda : « Le tortionnaire » a été arrêté.

Son nom faisait peur. Son surnom encore plus. « Le tortionnaire » comme tout Kigali l’appelait, avait gagné son surnom à cause du plaisir sadique qu’il trouvait à assister aux tortures dont peu de Rwandais sont sortis vivants. Le capitaine Pascal Simbikangwa redoublait de zèle dans son travail de chef des renseignements militaires et de la criminologie à la présidence du général Juvénal Habyarimana. Il pouvait déclarer « suspect » des dizaines de Rwandais accusés du seul «crime» d’avoir critiqué son patron, le général Habyarimana ou d’avoir la mention ethnique «Tutsi» non barrée sur leur carte d’identité et de s’être trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.

Le capitaine Pascal Simbikangwa est une célébrité. Christophe Mfizi nous dit dans son rapport « Le réseau zéro, fossoyeur de la démocratie et de la république au Rwanda (1975-1994) », comment « le redoutable capitaine Pascal Simbikangwa » l’a menaçé. Filip Reyntjens dans une note déposée comme preuve dans l’affaire Rutaganda (TPIR) le présente comme un membre des «escadrons de la mort» . Il était connu en particulier pour exécuter les ordres de son beau-frère, le colonel Elie Sagatwa membre éminent de l'Akazu[1]. Le 27 mars 1992, l’ambassadeur de Belgique au Rwanda, Johan Swinnen le désigne, dans un télex adressé à son ministre de tutelle Willy Claes, comme étant membre d’un « état-major secret chargé de l’extermination des Tutsis du Rwanda afin de résoudre définitivement, à leur manière, le problème ethnique au Rwanda et d’écraser l’opposition hutue intérieure» (Commission d'enquête parlementaire concernant les évènements du Rwand-Sénat de Belgique). Le «Rapport de la commission internationale d'enquête sur les violations des droits de l'homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 (7-21 janvier 1993)» évoque le capitaine Simbikangwa comme un tortionnaire. L’ONG américaine Human Right Watch rapporte dans son bilan de l’année 1993 au Rwanda que Monique Mujawamariya, une militante rwandaise des droits de l’homme « a été menacée de mort par le Capt. Pascal Simbikangwa connu pour avoir torturé plusieurs personnes détenues par les services secrets [2] ». Les auteurs de l’excellent ouvrage «Les médias du génocide » nous racontent l’épisode de la création du journal « L’indomptable Ikinani»[3] par Pascal Simbikangwa. Ce journal trop haineux sera retiré de la vente à la demande de feu Agathe Uwilingiyimana alors premier ministre. Toujours dans le même livre on trouve une caricature le montrant en train de torturer le journaliste Boniface Ntawuyirushintege, rédacteur en chef d'un journal d'opposition (sur cet évènement lire le rapport d'Eric Gillet et André Jadoul pour le CRDDR, page 21). Le 23 mars 1994, Joseph Kavaruganda, président de la cour de cassation, alertait le président Habyarimana sur les menaces de mort du capitaine Pascal Simbikangwa à son encontre. Joseph Kavaruganda sera assassiné 18 jours plus tard, le 7 avril 1994, par des membres de la garde présidentielle (courrier de Joseph Kavaruganda, 23/03/94).

« Le tortionnaire » s’est même cru touché par la grâce de l’écriture, il a publié deux livres « L’homme et sa croix » (1989) et « La guerre d’octobre » (1991). Si on reste sur sa faim au niveau littérature, on peut découvrir plusieurs aspects intéressants de sa personnalité grâce à son premier livre : « un pistolet 9mm dont j’allais bientôt maîtriser les secrets, une mitraillette Uzi qui commençait à me devenir un compagnon de choix, débarquer ou embarquer dans une voiture roulant à grande vitesse avec possibilité de me recueillir et me défendre aisément, et ma volonté farouche des VIP, tout cela me faisait revivre les temps héroïques de mes ancêtres.» […] « Je suis né guerrier et je devrais le rester tant que je vivrais, car cette lutte, ce combat sans merci que la survie (sic), je la mène avec détermination et dans un idéal de toujours chercher à mieux faire. Je suis donc guerrier et je ne le suis d’ailleurs que trop car dans l’acceptation de ma vie où je dois faire preuve de mon sang froid, de courage exceptionnel aux yeux de l’environnement qui ne cesse de s’en étonner malgré ce terrible 28 juillet 1986 [4]»[...] «Dans une soirée, un mec de la 3ème année est venu à côté de mon lit et dit : - Mais toi tu as un nez de «fallacha»![5]Heureusement que j'étais encore de ce sang inarrrêtable ! J'ai tout de suite piqué une colère de buffle. Il a dû avaler deux hypercutes qui l'ont rendu si impuissant qu'il est devenu par après mon grand copain ! On ne nait jamais nerveux, on le devient.»
Dans son acte d’accusation publié le 3 mars 2008, le procureur général du Rwanda l’accuse de «génocide, complicité de génocide, complot de génocide, assassinat et extermination », pour des actes qu’il aurait commis à Kigali et à Gisenyi à partir d’avril 1994.


«L'inarrrêtable» capitaine Pascal Simbikangwa a été arrêté le 28 octobre 2008 à Mayotte, France. C'est en 2005 qu'il décida de séjourner en France, auparavant il vivait en République fédérale islamique des Comores. Un pays où le frère d’Agathe Habyarimana, Séraphin Rwabukumba (il est accusé par plusieurs sources d’être membre du réseau zéro) a longtemps vécu et où il fait des affaires. Au vu de son handicap, on a longtemps cru que Pascal Simbikangwa n'avait pas survécu aux rigueurs des camps du Zaïre, c'est peut-être pour cela que son nom n'a pas fait partie des premiers actes d'accusations du TPIR. Il faut dire également que «le tortionnaire» avait pris le soin de vivre sous une fausse identité : Safari Sedinawara.

Lorsqu’on s’appelle Pascal Simbikangwa et qu’on est recherché par Interpol, est-ce judicieux de choisir la France « pays-des-droits-de-l’homme » plutôt que la République fédérale islamique des Comores plus connue pour ses coups d’états et sa corruption que pour sa démocratie ? Curieusement, oui. La France est très attractive pour les Rwandais accusés de génocide, c’est le pays au monde ayant sur son sol le plus grand nombre (12) de Rwandais accusés de génocide[6] (en dehors du Rwanda), dont 10 recherchés par Interpol[7]. Tous ces Rwandais sont libres, aucun n'a été jugé et toutes les demandes d'extradition vers le Rwanda ont été refusées par les tribunaux français, à l’exception d’une seule autorisée par la Cour d’Appel de Chambéry mais ensuite cassée par la Cour de Cassation le 9 juillet 2008 (Affaire Claver Kamana). La France a en outre été condamnée le 8 juin 2004 par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour n'avoir pas jugé dans un délai raisonnable un Rwandais accusé de génocide. Plus de quatre ans après cette condamnation Wenceslas Munyeshyaka est encore très loin du box des accusés d'une Cour d’assise


Le capitaine Pascal Simbikanwgwa sera jugé en France, il n’y a aucun doute, mais il sera jugé pour....trafic de faux papiers, pas pour «génocide». Etre accusé de génocide, crime contre l'humanité, torture, viol, meurtre contre des Rwandais au Rwanda, n’empêche nullement de vivre paisiblement en France avec ou sans papiers. Plusieurs rwandais [8] accusés de génocide ont vu ainsi leur demande d’asile politique refusée par la commission de recours des réfugiés au motif « qu’il y a des raisons sérieuses de penser que X s’est rendu coupable d’un crime au sens de l’article 1er F, de l’article premier de la convention de Genève, et notamment d’un crime contre l’humanité » mais curieusement cela ne les empêche pas de résider et de travailler en France. Par contre, favoriser l'immigration clandestine en confectionnant des faux papiers cela ne pardonne pas au « pays-des-droits-de-l'homme ». « Le tortionnaire » va méditer longtemps son erreur, il risque 10 ans de prison pour cette infraction.


Malheureusement, ses victimes rwandaises n'auront pas encore la satisfaction de le voir devant un tribunal qui le jugerait pour «génocide». C’est dommage, car le procureur français aurait pu appeler à la barre Bill Clinton qui, le 30 avril 1994, lorsqu’il était président des Etats-Unis d’Amérique, avait appelé les leaders rwandaisà plus d'humanité ("to recognize their common bonds of humanity") sur la radio Voice of America (diffusée au Rwanda). Son National Secretary Advisor, Antony Lake, avait préalablement fait cette déclaration à la Maison Blanche, le 22 avril 1994: 

«We call on the leadership of Rwanda Army Forces, including Army-Commander in Chief Col. Augustin Bizimungu, Col Nkundiye, Capt Pascal Simbikangwa and Col. Bagosora, to do everything in their power to end the violence immediately».[9]

MISE A JOUR : Pascal Simbikangwa, premier Rwandais renvoyé devant les assises en France (source TV5). Le procès d'assises de Pascal Simbikangwa se tiendra du 4 février au 28 mars 2014.

NOTA: La caricature publiée dans le journal Umurangi le 10 février 1992 est reproduite dans le livre «Les médias du génocide», page 41, Editions Karthala, Jean-Pierre Chrétien (sous la direction) . Les photographies représentant Pascal Simbikangwa avant et après son accident de voiture sont des copies de son livre «L'homme et sa croix», éditions de l’Imprisco, déc. 1989.
Pour les rwandophones, lire l'article du journal Izuba : Kapiteni Simbikangwa yatawe muri yombi

1 Akazu : petite maison en kinyarwanda, mot désignant un cercle restreint composé de personnes proches du couple présidentiel qui exerçaient le pouvoir réel au Rwanda à l’époque du général Juvénal Habyarimana.
2 She [Monique Mujawamariya] was threatened with death by Capt. Pascal Simbikangwa, known to have tortured many persons detained by the secret police.
3 Ikinani : qui signifie l'invicible c'était le surnom des supporters du général Juvénal Habyarimana.
4 Il fait allusion au jour de l'accident de voiture qui l'a rendu paralysé. L’homme et sa croix, éditions de l’Imprisco, déc. 1989, pages 95, 111 et 114.

5 Les Tutsi étaient parfois surnommés ainsi par les extrêmistes Hutu en références aux juifs éthiopiens. Ils étaient également supposés avoir un nez plus long que les Hutu.
6 Marcel Bivugabagabo, Laurent Bucyibaruta, Isaac Kamali, Claver Kamana, Agathe Kanziga, Cyprien Kayumba, Stanislas Mbonampeka, Sosthène Munyemana, Wenceslas Munyeshyaka, Laurent Serubuga, Pascal Simbikangwa et Pierre Tegera. Voir le site du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda.



28/10/2008

The day Rwanda Became an English-Speaking Country

In addition to Kinyarwanda, his mother tongue, my grandfather used to tell me that he was fluent in French, German, English and Swahili, and, of course, Latin. According to him, he managed to learn all these languages thanks to being a chief. Since my schoolmates in primary school had difficulty believing this, I used to take them to see my grandfather. demonstrate his talents as a polyglot. They found him fascinating, and me, and this made me feel very proud. Some years later, I realised that my good-natured grandfather was a such prolific writer and speaker of Kinyarwanda, a language that is rich in metaphore which he helped me master all the nuances. On the other hand, for French, English and Swahili, I found it better to rely on my teachers!

When the Germans came to Rwanda, they did not impose German. They used German as a language of communication. On the other hand, Swahili, the language of Zanzibar, was much more commonly used than Kinyarwanda. Many a Rwandan interpreter was trained for this purpose, and Mwami [King] Musinga learned Swahili, which bears some resemblance to Kinyarwanda. After the First World War, French was introduced by Belgium, the new colonial power. Most of the White Fathers who had arrived in Rwanda about 15 years earlier were French-speaking. They are the ones who taught French. This is how Rwanda joined the Francophone countries of the world, the ones using French as the common language. But there is more to the French-speaking world than meets the eye. For some, being French-speaking is a struggle, a struggle against the domination of English. It’s a thin line between a struggle and outright war. Some French politicians crossed this thin line in 1990 by characterizing the RPF attack against the Habyarimana regime as a war by English-speakers from Uganda against a member country of France’s pré-carré francophone. For them, this justified France’s unconditional support for the dictator, Habyarimana.[1]

After the genocide of the Tutsi and the return to Rwanda of Rwandans who were English-speaking, Rwanda made a conscious effort to remain consensual and to teach both French and English in its schools. Universities devised programmes to help students improve their language skills in French or English, depending on the case. Today, one realises that bilingual university education has not produced the expected results. A disproportionately large number of students graduate from university without mastering either language. Communication is the foundation of education. Our children have the unique opportunity to live in a country which has the potential to educate them in two of the world’s most important languages. We must not allow this valuable resource to go to waste.

However, the Minister of Education, Daphrose Gahakwa, recently declared that “courses in Rwanda’s schools and universities shall henceforth be taught in English, this being among the means for Rwanda to join the Commonwealth”(Source AFP). That is preposterous! The majority of the teachers in Rwanda are French-speaking and are unable to teach in English (regardless of whether they have attended mandatory English classes) and a mere 1.8% of Rwanda’s population speaks English. According to a Rwanda government report, "though the French language is equally spoken by few people (…), these are more evenly distributed over the national territory.. "(Source: census of 2002).

Rwanda is in a privileged position in the region in that it has qualified engineers, professors, researchers, etc. that are fluent in both English and French. Many of them attended the world’s best universities. French-speaking Rwandans have returned by the thousands from Burundi, Congo, Belgium, West Africa, Quebec, France, Switzerland, to join the ones who were already in Rwanda. Many of them have joined the teaching profession. Are they now being told that they serve no purpose?

Is it reasonable to take a decision with such serious implications for the future of our country without consulting the people through parliament and without holding a national debate? Did the coalition led by the RPF submit this radical programme to the voters before the latest parliamentary elections? Is joining the Commonwealth so important to Rwanda as to warrant taking such an important decision precipitously and without consulting the people? Could this decision be perceived as favouring Rwanda’s English-speaking population?

Let us hope that in the future Rwanda will not seek to join the CPLP, Community of Portuguese-Speaking Countries...


I recommend this article: "Rwanda to switch from French to English in schools" by Chris McGreal in The Guardian, October, 14 2008.

POUR LA VERSION FRANCAISE CLIQUER ICI


[1] "The whole syndrome, which for the sake of convenience we could call “the Fachoda syndrome”; is still very much a part of French political thinking today. And it is the main reason -and pratically the only one - why Paris intervened so quickly and so deeply in the growing Rwandese crisis.” [Gérard Prunier, The Rwanda Crisis: History of a Genocide, page 105, C Hurst & Co Publishers Ltd; 2Rev Ed edition (21 May 1998).

20/10/2008

Jean d'Ormesson au Rwanda, un touriste ravi.

Impossible d'y échapper. Jean d'Ormesson vient de sortir un livre, il est inévitable dans les médias français : Le Grand Journal (Canal +), Salut les Terriens (Canal +), On n'est pas couché (France 2), Vivement Dimanche (France 2), Le fou du roi (France Inter)... Dominique Bona a écrit dans Le Figaro du 09 octobre 2008 «Lire chaque soir une page de Jean d'Ormesson : dans ce temps de crise, c'est le seul remède. Les médecins devraient le prescrire aux Français qui n'ont plus le moral. Les banquiers déprimés, les patrons anxieux et les boursicoteurs mélancoliques retrouveraient leur bonne humeur. L'effet en est immédiat. On est aussitôt requinqué, tonifié et prêt à chanter avec lui que « la vie est belle » - l'une de ses phrases préférées, mais aussi le titre d'un des plus beaux chapitres de son nouveau livre. »

Pourtant, chaque fois que je tombe sur lui, je me sens mal, et je n'ai pas envie de chanter que « la vie est belle ». Un jour un ami surpris me demanda pourquoi je ne le supportais pas, pour lui il n'était qu'un inoffensif vieil homme cabotin et narcissique. Peu de Français le savent mais Jean d'Ormesson est plus que cela. Il est un pionnier. A l'heure où les premiers touristes de l'espace cherchent des sponsors pour se payer leur rêve, Jean d'Ormesson a été il y a quatorze ans, le premier touriste à aller voir un génocide de ses propres yeux. C'est sponsorisé par Le Figaro qu'il est parti au Rwanda en juillet 1994, escorté de sa «nounou», le lieutenant-colonel Bolelli [1] afin de ne pas manquer le dernier génocide du XXème siècle : l'extermination des Tutsi du Rwanda. Personne ne saura comment cet écrivain a pu convaincre Le Figaro de rejoindre au Rwanda comme «envoyé spécial» les trois grands reporters chevronnés, Patrick de St Exupéry, François Luizet et Renaud Girard que le journal avait déjà sur place.

A 69 ans Jean d'Ormesson découvrait le Rwanda. Il en a rapporté trois articles publiés les 19, 20 et 21 juillet 1994 dans Le Figaro. Jean d'Ormesson de l'académie française n'épargne pas ses lecteurs de toutes les inepties sur les Rwandais et sur le Rwanda que vraisemblablement le service d'information de l'armée française (SIRPA) lui a gentiment fourni :

«les Tutsis parlent anglais et swahili. Les Tutsis seraient grands, élégants, rapides, organisés. Les Hutus seraient petits et moins bien physiquement. Il n'est pas impossible que les Tutsis aient des origines nilotiques. Ils rappellent à certains égards le type égyptien. On a pu dire que les Tutsis jouaient le rôle des Israéliens et les Hutus, celui des Palestiniens. On a même avancé, avec un peu trop de subtilité, que les Hutus ne veulent pas tuer - mais qu'ils tuent; et que les Tutsis veulent tuer - mais qu'ils se contrôlent.

«Un pas de plus et on passe à la conviction que le FPR, mélange de fascisme, de marxisme et de Khmers rouges, est tout simplement l'ennemi.»

«S'il faut tirer une leçon du Rwanda, c'est que les hommes sont tous coupables et qu'ils sont tous innocents.»
Malheureusement Jean d'Ormesson ne s'est pas arrêté au ridicule de ces lignes. L'insupportable a suivi. Lorsque je détourne mon regard de cet écrivain, c'est parce que je n'oublie pas les miens exterminés au Rwanda et que, Jean d'Ormesson de l'académie française, apparemment tout excité par son expérience de premier touriste du génocide, les a gravement insultés en écrivant ceci :
«Sortez vos mouchoirs :il va y avoir des larmes. Ames sensibles s'abstenir : le sang va couler à flot sous les coups de machette.»

«Partout, dans les villes,dans les villages, dans les collines, dans la forêt et dans les vallées, le long des rives ravissantes du lac Kivu, le sang a coulé à flots - et coule sans doute encore. Ce sont des massacres grandioses dans des paysages sublimes.»
Des massacres grandioses dans des paysages sublimes... le touriste Jean d'Ormesson a été comblé. Et en plus il a eu beau temps.


Les trois articles de Jean d'Ormesson :
J'ai vu le malheur en marche. Le Figaro, 19 juillet 1994.
La drôle d'odeur de l'église de Kibuye. Le Figaro, 20 juillet 1994.
Partir, c'est mourir beaucoup ... Le Figaro, 21 juillet 1994.


[1] Ma nounou est colonel. Avec une efficacité, une patience, une amitié merveilleuse, le lieutenant-colonel Bolelli ne s'est pas contenté de me couvrir de chandails et de parkas, car il fait froid la nuit sous l'équateur à 1500 mètres d'altitude. Jean d'Ormesson, Le Figaro, 21 juillet 1994.

Nota : La «nounou» de Jean d'Ormesson est une figure des services de renseignement français. Le lieutenant-colonel Didier Bolelli est aujourd'hui général de division, il fut le responsable des opérations de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) . Depuis le 18 juin 2008 Didier Bolelli il est directeur de la DPSD (Direction de la protection et de la sécurité de la défense), l' ancienne sécurité militaire.

11/10/2008

Le jour où le Rwanda est devenu un pays uniquement anglophone.

En plus du kinyarwanda, sa langue maternelle, mon grand-père me disait qu'il parlait couramment le français, l'allemand, l'anglais, le kiswahili et bien entendu le latin. Sa fonction de sous-chef l'avait, selon lui, amené à étudier toutes ces langues. Face à l'incrédulité de mes copines de l'école primaire, je les emmenais devant mon grand-père, qui en rechignant un peu pour la forme, s'exécutait et faisait une démonstration de son talent polyglotte. Elles repartaient ébahies, et moi j'étais très fière. Quelques années plus tard, je me rendis compte que mon espiègle grand-père parlait et écrivait magnifiquement bien le kinyarwanda cette langue métaphorique et complexe dont il m'aida à acquérir toutes les nuances, par contre, pour le français, l'anglais et le kiswahili, j'ai trouvé plus sage de m'en remettre à mes professeurs !

A leur arrivée au Rwanda, les allemands n'ont pas imposé l'allemand. Ils ont utilisé comme langue de communication, le kiswahili, la langue de Zanzibar, beaucoup plus accessible que le kinyarwanda. Plusieurs interprètes rwandais ont été formés à cet effet, et le Mwami Musinga apprit cette langue qui a quelques similitudes avec le kinyarwanda. Après la première guerre mondiale, la langue française a été introduite par le nouveau colonisateur, la Belgique. Les Pères Blancs qui étaient déjà au Rwanda depuis une quinzaine d'années, étaient en majorité francophones, ils se sont chargés de l'enseignement du français. C'est ainsi que le Rwanda est entré dans le monde francophone, celui qui a
«le français en partage». Mais la francophonie, c'est plus que cela. La francophonie, pour certains pays, c'est un combat, un combat contre l'anglophonie dominante. Du combat à la guerre, il n'y a qu'un pas, un pas qu'ont franchi les politiciens français des années 1990 qui ont vu dans l'attaque du FPR contre le régime d'Habyarimana, une guerre de combattants anglophones venus d'Ouganda contre un pays membre du pré-carré francophone de la France, ce qui a légitimé à leurs yeux un soutien inconditionnel au dictateur Habyarimana [1].

Après le génocide des Tutsi, et l'arrivée de rwandais anglophones, le Rwanda a essayé de rester consensuel et d'enseigner aussi bien en français qu'en anglais. Des classes d'études de mise à niveau pour les francophones et les anglophones ont vu le jour dans toutes les universités. Aujourd'hui on constate que cette politique du bilinguisme universitaire n'a pas tenu toutes ses promesses. Beaucoup trop d'étudiants qui sortent de l'université ne maîtri
sent parfaitement aucune des deux langues. Communiquer c'est la base de l'enseignement, nos enfants ont la chance de vivre dans un pays capable de dispenser un enseignement dans deux langues parmi les plus importantes du monde, le français et l'anglais, il faut faire fructifier cette richesse, et donner plus de moyens à ce projet ambitieux.

Mais au contraire, la ministre de l'éducation nationale, Mme Daphrose Gahakwa vient de déclarer que «l'enseignement secondaire et universitaire sera désormais dispensé exclusivement en anglais au Rwanda» parce que «c'est l'une des démarches qui permettront au Rwanda d'adhérer prochainement à l'organisation du Commonwealth»(source AFP).

C'est énorme ! La majorité des enseignants rwandais sont francophones et incapables d'enseigner en anglais («sessions de cours d'anglais obligatoires» ou pas) et seulement 1,8% des Rwandais parlent aujourd'hui l'anglais, «la langue française quoique peu parlée également est tout de même plus équitablement distribuée sur l'ensemble du territoire national» d'après un rapport du gouvernement rwandais (source recensement général de la population du Rwanda-2002).

Le Rwanda a la chance unique dans la région, d'avoir des ingénieurs, des professeurs d'université, des chercheurs aussi bien anglophones que francophones. Beaucoup ont été formés dans les meilleures universités du monde. Des francophones rwandais sont venus par milliers du Burundi, du Congo, de Belgique, d'Afrique de l'Ouest, du Québec, de France, de Suisse, s'ajouter à ceux qui vivaient au Rwanda. Beaucoup d'entre eux sont venus pour enseigner. Doit-on leur signifier qu'ils sont désormais inutiles ?

Est-ce vraiment raisonnable de prendre une décision aussi cruciale pour l'avenir du Rwanda, sans que le peuple, via ses députés et sénateurs, ne soit consulté ? Sans qu'un débat national n'ait lieu ? Est-ce que la coalition menée par le FPR a présenté ce programme radical à ses électeurs avant les dernières élections législatives ? L'adhésion au Commonwealth est-elle si importante pour le Rwanda pour qu'une telle décision soit prise dans la précipitation et l'absence totale de consultation ? Est-ce que cette décision ne pourrait pas
être perçue comme favorisant les Rwandais anglophones ?

J'espère que le Rwanda n'aura pas un jour l'ambition d'adhérer à la CPLP, la
Comunidade dos Países de Língua Portuguesa...

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Mise à jour : Fuyant la réforme scolaire, des élèves quittent le pays par Albert-Baudoin Twizeyimana (7 aout 2009, Agence Syfia)


FOR ENGLISH VERSION CLICK HERE


Nota : les photographies de Gilles Tordjeman sont tirées du livre Rwanda Nziza aux éditions Sépia/Urukundo.
Lire l'article "Rwanda to switch from French to English in schools" de Chris McGreal dans le journal anglais The Guardian, 14 octobre 2008.

[1]
«Le syndrome entier, que par commodité nous pourrions appeler le "syndrome de Fachoda", fait encore partie intégrante de la pensée politique française contemporaine. Et cette raison principale, cette seule raison, a conduit Paris à s'engager si rapidement et si profondément dans la crise rwandaise.» Rwanda, le génocide, page 133, éd.Dagorno, Gérard Prunier.

03/10/2008

Le Rwanda : nouvel éden pour les fugitifs français ?

Gérard Croissant, alias frère Ephraïm, est le fondateur de la Communauté des Béatitudes reconnue par l’Eglise catholique mais considérée par de nombreux observateurs comme une secte.[1]. Frère Ephraïm, citoyen français, est recherché par la police française pour «non-dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans par personnes ayant autorité». Il avait introduit en toute connaissance de cause dans sa communauté (qui comportait des enfants), puis protégé, un prêtre pédophile, Pierre-Etienne Albert [2] qu'il avait pompeusement nommé «accompagnateur psychospirituel ».

La dépêche du midi ainsi que Le Parisien nous apprennent que Frère Ephraïm «est actuellement réfugié au Rwanda». Un moine français gourou d'une secte catholique réfugié au Rwanda ? Etonnant ? Pas tant que cela. Il faut savoir que le Rwanda qui a été colonisé successivement par l’Allemagne et la Belgique, a surtout été colonisé de facto par l’Eglise catholique, et en particulier par la congrégation des Pères Blancs, une congrégation française.

Installée au Rwanda en 1900 [3], six ans après que les Rwandais ont découvert les premiers européens, elle a modelé le pays à son image, diffusant sa pudibonderie, sa morale du XIXème siècle (les Pères blancs avaient une des vision la plus rétrograde de l'Eglise catholique) et sa vision du monde très primitive (ce sont les Pères blancs qui ont, entre autres, enseigné aux élèves rwandais la théorie hamitique). Pendant un demi-siècle ils ont été les seuls à instruire les Rwandais, puis les seuls principaux acteurs économiques du pays, l’Eglise est encore aujourd’hui la principale propriétaire au Rwanda après l’Etat.

Le Rwanda, plus d’un siècle après l’arrivée de l'évêque français Mgr Hirth [3] est plus que jamais le pays des mille églises. Il ne se passe pas un jour sans qu’un missionnaire chrétien ne débarque à l’aéroport de Kanombe (désormais surtout en provenance des Etats-Unis), sans qu’une nouvelle «église» ne se crée, sans qu’un nouveau prophète n’ouvre sa boutique en s’autoproclamant messager de Dieu, Jésus ou autre Zion

Il était donc naturel que Frère Ephraïm trouve refuge au Rwanda et y prospère. Mais s’il décide d’y rester [4], il pourrait devenir le premier français en cavale réfugié au Rwanda. Sachant que le Rwanda réclame en vain plusieurs rwandais suspectés du crime de génocide, réfugiés eux, en France, il pourrait être tentant pour les autorités rwandaises de refuser à leur tour l’extradition d'un fugitif français vers la France. C’est tentant, très tentant... Mais non, que le Rwanda reste digne et collabore le mieux possible avec la police française. Le Rwanda ne doit pas devenir le sanctuaire des fugitifs français, moine ou pas.

Il ne serait pas sain que nos autorités suivent l’exemple de la France qui donne l’asile à des Rwandais recherchés par leur pays, des hommes accusés de génocide, de crimes contre l’humanité, de viol, de torture.

Et puis, est-ce que le Rwanda a besoin de frère Ephraïm et d'une secte de plus : la Communauté des Béatitudes ?

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MISE A JOUR : Gérard Croissant dit frère Ephraïm est reparti du Rwanda le 3 novembre 2008, il est arrivé à Paris le 4 novembre (source Nouvel Observateur). Les autorités rwandaises ont-elles expliqué à frère Ephraïm qu'un homme recherché par la justice de son pays n'avait pas sa place au Rwanda ? Oui. Il a été signifié à Gérard Croissant qu'il ne pouvait plus rester au Rwanda.

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Nota: la caricature de Cabu est tirée de l'article du Canard Enchainé du 17 janvier 2007, La secte qui prospère avec la bénédiction de l'Eglise. Les photographies de pères blancs au Rwanda proviennent de la revue Grands Lacs, no 135, du 15 septembre 1950.

[1] Une secte au sein de l’'Eglise catholique ? Nouvel Observateur, 29/03/2007. La secte qui prospère avec la bénédiction de l'Eglise, le Canard Enchainé, 17 janvier 2007.

[2] Voir Scandale pédophile dans la communauté religieuse des Béatitudes, le Figaro, 8 février 2008 et Un religieux reconnaît une cinquantaine d'agressions, le Parisien, 18 février 2008.
[3] Lire absolument le méconnu « De novembre 1899 à février 1900. Premier voyage de Mgr Hirth au Rwanda » de P. Stefaan Minnaert, malheureusement seulement disponible au Rwanda ou sur commande.

[4] Dans un courrier adressé il y a un mois à l'ensemble des membres des Béatitudes, il explique son peu de foi dans la justice des hommes, et cite la Bible : « Lorsque vous avez un différend entre vous, comment osez-vous le faire juger par des païens et non par les saints ? » [Le Parisien, 18 février 2008]