29/01/2010

Heureux comme Callixte Mbarushimana en France

Callixte Mbarushimana (source The Washington Post)

Callixte Mbarushimana est un cumulard. Accusé de crime de génocide, par ses anciens collègues du P.N.U.D, il est également accusé de crimes contre l’humanité en tant que secrétaire exécutif des rebelles du F.D.L.R qui sévissent depuis des années au Congo.

Callixte Mbarushimana est un cumulard heureux. Depuis le génocide, ses collègues des Nations Unies, rescapés du génocide des Tutsi, ou occidentaux, n’ont eu de cesse de l’accuser du crime de génocide. Mais il a toujours échappé à toute poursuite judiciaire, mieux, il a continué à travailler pour les Nations Unies pendant six ans après le génocide.

Une équipe d’enquêteurs des Nations Unies, vient de remettre son rapport (classé confidentiel) sur cette affaire. Le Washington Post vient d’en rendre compte dans un remarquable article.

Voici l’histoire de Callixte Mbarushimana.

Juste avant le génocide, ses collègues des Nations Unies dénoncent son militantisme anti-Tutsi auprès du représentant du P.N.U.D au Rwanda, Amadou Ly. Celui-ci le convoque, il est très surpris que Mbarushimana ne cache pas son idéologie mortifère. Amadou Ly informe son siège à New York. Mais rien ne se passe.

6 avril 1994, Kigali devient en quelques heures l’enfer sur terre. Les Tutsi sont exterminés. C’est un génocide. Au départ des occidentaux, d'après le rapport des Nations Unies, Mbarushimana s’auto proclame responsable par intérim de cette agence des Nations Unies au Rwanda, puis il s’empare de tous les moyens logistiques du P.N.U.D dans la capitale qu’il met à la disposition des tueurs. De nombreux collègues Tutsi, l’accusent d’avoir dénoncé ses collègues Tutsi aux miliciens Interahamwe, et d’avoir participé lui-même aux massacres. On le soupçonne même d’avoir obtenu des informations secrètes sur des opérations de sauvetage de Tutsi via une taupe au sein du quartier général des Nations Unies. A l’arrivée du F.P.R, le bravache Mbarushimana qui se promenait en treillis, pistolet à la ceinture, s’enfuit piteusement au Congo.

En décembre 1996, il obtient un contrat pour travailler pour le P.N.U.D en Angola. Là, il tombe sur un ancien collègue américain avec qui il travaillait à Kigali, Gregory Alex. Qui le dénonce par écrit au Secrétaire Général des Nations Unies, Koffi Annan, l’accusant en particulier d’avoir participé au meurtre de Florence Ngirumpatse, la responsable des ressources humaines du P.N.U.D, et de 12 autres personnes qui étaient dans la même maison, dont une majorité d’enfants. Mais rien ne se passe.

Après son contrat en Angola, il en obtient un autre pour la Mission des Nations Unies au Kosovo qui débute le 10 novembre 2000. Encore une fois, il est dénoncé par Gregory Alex. Cette fois-ci, il est emprisonné le 11 avril 2001. Le Rwanda demande son extradition. Mais une cour du Kosovo le relâche deux mois plus tard pour vice de forme.

Le Procureur du T.P.I.R l’inculpe pour génocide. Dans le reportage « A question of murder » et dans le San Francisco Chronicle, Tony Greig, un policier australien qui travaillait pour le T.P.I.R, explique que d’après son enquête au Rwanda, Callixte Mbarushimana serait impliqué dans 32 meurtres de Tutsi, il aurait également activement collaboré avec les milices Interahamwe. Mais à ce moment là, d’après le Washington Post, le conseil de sécurité des Nations Unies fait pression auprès du Procureur pour que le T.P.I.R ne poursuive que les « gros poissons », les planificateurs au niveau national. Le Procureur du T.P.I.R retire son acte d'accusation.

Il s’installe en France, à Thiais, en 2003. Et, en contradiction totale avec l'article F a)[1] de la Convention relative aux réfugiés, il obtient la même année, sans aucun problème le statut de réfugié dans le-pays-des-droits-de-l’homme. On sait que c’est Claude Guéant qui a aidé Eugène Rwamucyo, un autre suspect de génocide, à se procurer une carte de travail. Mais qui a réussi l’exploit d’obtenir l’asile politique au surmédiatisé accusé de génocide Callixte Mbarushimana ?

Le 29 juin 2005, il est élu secrétaire exécutif des F.D.L.R, un groupe rebelle classé terroriste qui commet des crimes horribles au Congo. Personne en France ne l’interdit de militer dans ce mouvement politique criminel, alors qu’en tant que réfugié politique il a l’obligation de conserver un devoir de réserve dans son pays d’accueil.

Fâché d’avoir été licencié par les Nations Unies lors de son inculpation au Kosovo, il saisit le Tribunal Administratif des Nations Unies et réclame une indemnisation. Le 30 septembre 2005, il gagne son procès. Les Nations Unies sont contraints de lui verser 12 mois de salaires en dédommagement, soit 47 635 $.

En juin 2005, les Nations Unies demandent officiellement à la France de poursuivre  Mbarushimana pour génocide. Mais rien ne se passe.

Le 6 février 2006, le C.P.C.R (Collectif pour les Parties Civiles du Rwanda) dépose une plainte contre Mbarushimana, en France pour génocide. Mais rien ne se passe.

En juillet 2008, lors d’un contrôle de passeport à l’aéroport de Francfort, alors qu’il compte s’envoler pour la Russie, il est arrêté grâce à une « notice rouge » d’Interpol à son nom. Quatre mois plus tard il est libéré, car une cour allemande a jugé qu’il ne pouvait pas être extradé vers le Rwanda.  Il est libre.

Le 5 mars 2009, le Comité de sanction RD Congo de l’ONU le place sur la liste des personnes et entités visées par les interdictions de voyager et le gel des avoirs prévues par la résolution 1857 (2008). Mais personne en France, n’inquiète le secrétaire exécutif des F.D.L.R, qui publie régulièrement des communiqués de presse. Ironiquement, il en a publié un il y a quelques jours sur …«  la vérité et la justice ».

En novembre 2009, les Nations Unies publient un rapport d’enquête accablant sur les liens étroits entre les tueurs des F.D.L.R qui massacrent au Congo et leurs leaders « politiques » qui vivent dans la diaspora en Europe. Le Président et le Vice-Président des F.D.L.R sont immédiatement arrêtés par l’Allemagne, leur pays d’accueil. Ils sont inculpés de crime contre l’humanité. Mais pas Callixte Mbarushimana qui devient de facto le responsable suprême des F.D.L.R dans le monde.

Novembre 2009, la France et le Rwanda décident de renouer leurs relations diplomatiques. Quelques jours plus tard, la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie et le ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner, font cette magnifique déclaration : « la France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité ». On apprend dans Le Télégramme que « le nouveau chef d'état-major des armées, Édouard Guillaud, est convaincu que le Rwanda, où se rendra le mois prochain le président Sarkozy, est l'une des clefs de la stabilisation au Kivu ». Deux bonnes raisons pour la France de mettre hors d’état de nuire l’accusé de génocide et leader mondial des F.D.L.R qui vit à Paris [2]. Mais rien ne se passe.

Nous, les survivants du génocide des Tutsi, nous nous posons cette question simple : jusqu’à quand Callixte Mbarushimana va-t-il narguer la justice ? La France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, comment peut-on vraiment y croire, madame Alliot-Marie, monsieur Kouchner ?

 Références :

·       Rebel leader accused of genocide lives in Paris, The Washington Post, 24 janvier 2010, et ma traduction de l'article en français : Un leader rebelle accusé de génocide vit à Paris. 
·       Décision du Tribunal Administratif des Nations Unies, datée du 30 septembre 2005.
·      Rwandan Accused in Genocide Wins Suit for U.N. Pay, The New York Time, 8 aout 2004.
·      Un Rwandais recherché pour génocide arrêté en Allemagne, France 24, 8 juillet 2008.



 [1] F.- Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser: a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes


 [2] Callixte Mbarushimana vit aujourd'hui à Paris dans le 19ème arrondissement.


"A question of Murder" par Ginny Stein, SBS TV Australia (21 février 2007)

23/01/2010

Attentat contre Habyarimana : la fin de «l’hypothèse FPR»

Général Major Habyarimana, tué lors de l'attentat du 6 avril 1994.


Sur la base des preuves obtenues aussi bien des déclarations des témoins que de l’examen des emplacements éventuels des tirs de missiles indiqués dans ces déclarations, on peut conclure que l’avion a été abattu par un ou plusieurs missiles tirés à partir d’une position dans l’enveloppe marquée par les auteurs sur la carte figurant à l’annexe G.

Et que trouve-t-on dans « l’enveloppe » de l’annexe G ?
- les extrémités Est de l’aéroport
- la résidence présidentielle
- les extrémités nord du camp Kanombe

Tout est dit ici. Dans ce rapport balistique de l’Université britannique Cranfield, déposé en annexe du rapport  du « Comité indépendant d’experts chargé de l’enquête sur le crash du 06/04/1994 de l’avion Falcon 50 No 9XR-NN » dit « rapport Mutsinzi ». Car si un tir de la colline Masaka par le F.P.R était déjà plus qu’improbable au vu de sa proximité avec le camp ultra-sécurisé de Kanombe, un tir en provenance du camp Kanombe ou de ses environs immédiats signe le crime sans aucun doute possible : ce sont des membres des F.A.R qui ont abattu l’avion d’Habyarimana.

Le rapport  Mutsinzi  lui-même est également une bonne surprise. La qualité du travail est au rendez-vous. Cette commission qui devait bien se douter que son statut d’indépendant serait discuté, a intelligemment fait appel à des tiers, une équipe d’universitaires britanniques. De plus, parmi les témoins clés de l’attentat, pour la plupart jamais entendus, nombreux sont belges. Et la documentation précise recueillie par la commission apporte des éléments nouveaux sur l’équipement réel de l’armée rwandaise et sur la formation au tir de missile de ses militaires. Les motivations des extrémistes membres des FAR étaient bien connues, mais elles sont ici développées. Le T.P.I.R a déjà prouvé que le Col. Bagosora a participé à l’organisation du génocide des Tutsi. Le même Théoneste Bagosora qui a gentiment ordonné au Chef d’État Major de l’armée rwandaise, le Général Déogratias Nsabimana, d’accompagner en mission le chef de l’État avec qui il périra, est ici clairement accusé d’avoir planifié l’attentat, le coup d’État contre Juvénal Habyarimana. Exit donc l’«hypothèse d’un attentat commis par le FPR».
Ce rapport qui sera notamment remis au successeur du juge Bruguière, le juge Trévidic, pourrait être la base d’un travail judiciaire futur. Espérons que, contrairement à son prédécesseur, celui-ci ne va pas enquêter sur les auteurs de l’attentat dans son bureau parisien avec la seule aide de sa greffière et d’un traducteur, dont le beau-père, Félicien Kabuga est le fugitif le plus recherché par le T.P.I.R... Malheureusement, le rapport Mutsinzi n’apporte pas de noms. Les F.A.R, oui, mais qui exactement ? Les F.A.R seuls, ou les F.A.R aidés par des mercenaires ? Et puis on aimerait en savoir plus sur l’autre guerre qui a suivi le génocide, la guerre de la désinformation.

Saura-t-on un jour pourquoi et comment « la théorie de l’attentat commis par le F.P.R » a vu le jour en 2000 ? Saura-t-on un jour qui a « inventé » Jean-Pierre MugabeChristophe Hakizabera ou Innocent Marara qui, dans le bastion du F.P.R, à Mulindi ont juré avoir vu et entendu la préparation « d’un plan macabre qui devrait conduire le pays dans le chaos : la mort du Président Habyarimana » ?  Saura-t-on un jour qui a « inventé » Abdul RuzibizaEmmanuel Ruzigana et Aloys Ruyenzi, vrais pieds-nickelés mais imaginaires membres d’un fantasmagorique « network zéro » qui se serait faufilé à quelques centaines de mètres du camp de la garde présidentielle de Kanombe pour commettre leur forfait et puis repartir très vite, ni vu, ni connu se cacher en ville, en évitant une demie douzaine de barrages des F.A.R... Saura-t-on un jour ce que faisait à Kigali l’ex-gendarme français Paul Barril, le jeudi 7 avril 1994 ? Saura-t-on un jour pourquoi une boîte noire de Concorde maquillée en boîte noire de Falcon a été retrouvée dans le jardin de Juvénal Habyarima, dit Ikinani [l’invicible] …non loin de sa dépouille ?

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Photographie no 2 : Général Nsabimana, chef d'Etat Major de l'armée rwandaise, tué lors de l'attentat du 6 avril 1994.


Références :
Note : 
Jean-Pierre Mugabe a obtenu l'asile politique aux U.S.A, Abdul Ruzibiza, Innocent Marara, Emmanuel Ruzigana et Aloys Ruyenzi sont arrivés en France à l'invitation du Juge Bruguière,  les deux premiers vivent désormais en Norvège et le dernier vit en Angleterre, Aloys Ruyenzi et Christophe Hakizabera vivent toujours en France.
Christophe Hakizabera qui est un des tout premier dissident du F.P.R à avoir évoqué l’hypothèse d'un attentat commis par le F.P.R a été le candidat malheureux au poste de président des F.D.L.R; une rébellion criminelle qui sévit au Congo. L'heureux élu, Ignace Murwanashyaka,  est actuellement détenu par l'Allemagne qui l'accuse de crime contre l'humanité.

08/01/2010

Rosalie Gicanda, la dernière reine du Rwanda

Portrait de l'umwamikazi, Rosalie Gicanda, épouse de Charles Mutara Rudahigwa, Mwami du Ruanda.

(Source : Atlas du Congo Belge et du Ruanda-Urundi par Pierre Ryckmans, 1955)


Comme toutes les personnes de sa génération, elle commençait par poser au visiteur la question rituelle « Ese uba uwa nde ? Uturuka m'uwuhe muryango ? »[1]. Lorsqu’on lui répondait, mon père est tel, c'est un umwega de Rugarama rwa Kigali, ma mère est une umujijikazi de l'ubuliza originaire du Buganza, elle se lançait alors dans une recherche généalogique savante pour savoir si elle connaissait un de nos ancêtres. Devant cette vieille femme magnifique, nous étions toujours très impressionnés, et puis la conversation débutait. Sa maison était très connue à Butare, les pauvres venaient y recevoir un repas, un verre de lait, tout le monde pouvait la rencontrer sans aucune forme de protocole, que vous soyiez Hutu, Twa ou Tutsi, sa porte était constamment ouverte. Rosalie Gicanda était pourtant une reine, la veuve du Mwami Mutara Rudahigwa dont la mort le 25 juillet 1959 avait été le prélude aux pogroms anti-Tutsi et à l’exil de milliers d’entre eux du Rwanda. Elle, avait décidé de rester, même lorsque son beau-frère, le Mwami Kigeli V avait quitté le pays le 14 novembre 1960. Unique représentante de la monarchie au Rwanda, elle était placée sous la protection des régimes successifs de Kayibanda et de Habyarimana. Ces régimes ethnistes n’ayant aucun intérêt politique à ce qu’il lui arrive quelque chose... Elle vivait à Butare, simplement, et se consacrait à l’aide des plus démunis.


J'ai profité de mes années universitaires dans cette ville, pour la rencontrer, curieuse que j’étais des vieilles histoires rwandaises, de nos coutumes. A mon retour chez moi, j’impressionnais ma grand-mère, Bibi, lorsque je lui relatais mes rencontres avec la reine Gicanda. Bibi enthousiaste pouvait me harceler à son sujet pendant des jours entiers, pour que je répète encore et encore les histoires de Gicanda.


En 1978, un de ses neveux, réfugié rwandais en Ouganda, avait pris tous les risques, à 21 ans, pour s’introduire clandestinement au Rwanda, dans le seul but de rencontrer sa prestigieuse tante, la sœur de sa mère (voir photo ci-contre). Plusieurs années plus tard, ce jeune homme est revenu dans son pays d’origine. Il est aujourd’hui le président de la République du Rwanda.


Et puis, il y a eu le génocide. Le 20 avril 1994, des barbares se sont introduits chez elle, l’ont enlevée avec six autres femmes de son entourage dans une camionnette, l’ont exhibée dans les rues de la ville, puis ont exécuté la reine Gicanda et ses six amies[2]. Rosalie Gicanda avait 80 ans. Les exécutants de ce carnage, le sous-lieutenant Pierre Bizimana et le Dr Kageruka, ancien médecin à l'Hôpital Universitaire de Butare, ont été condamnés à mort le 27 juillet 1998 par la Chambre spécialisée de la Cour militaire, siégeant à Butare.


Le capitaine Ildephonse Nizeyimana accusé par le Procureur du TPIR d’avoir commis le génocide à Butare et d'avoir commandité l'assassinat de la reine Gicanda, a été arrêté en Ouganda le 5 octobre 2009, et transféré à Arusha. Devant ses juges, il plaide non coupable.




[1] Littéralement « de qui viens-tu ?» De quelle famille viens-tu ? En fait « à quel clan appartiens-tu ?». Il existe 18 clans principaux au Rwanda. Lire notamment « Les clans du Rwanda ancien : éléments d'ethnosociologie et d'ethnohistoire » de Marcel d'Hertefelt ou « La non-validité de la notion d'ethnie au Rwanda » par Justin Gahigi.

[2] Par miracle une des six personnes exécutées, une adolescente, a survécu. Lire le récit du drame dans «Aucun témoin ne doit survivre.»